Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les Contes du Colvert

30 janvier 2022

LE FOU DU ROI.

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 30

 

 

LE FOU DU ROI.

 

 

 

Le Fou du Roi avait beaucoup voyagé à travers différents royaumes, souvent à pied, des fois à dos d'âne mais rarement pris en croupe sur un vaillant destrier qui s'en revenait de guerre et ne rêvait plus qu'à son champ à la bonne herbe fraîche sous sa rosée du matin. Las de ses errances il avait fini par se fixer à la cour du roi Croquemou I° qui régnait sur un grand pays dans le Monde des Songes. Le fripon était laid, d'une laideur abominable. Cette laideur faisait son succès à la cour du roi. Ses moqueries faisaient la joie des présents, surtout des jeunes princesses  et autres jeunes filles de haut rang qui riaient de bon coeur à ses insolences, chants et autres jongleries et ne s'imaginaient pas  prendre pour époux un homme de si peu et si laid.

 

Et ce fou, qui voulait faire mieux que Momos le bouffon de l'Olympe, amusait toute l'assemblée et le roi aussi qui parfois, en entendant ses impertinences, se livrait à une errance spirituelle... "Mais pourquoi  je le laisse faire ? Je peux le faire taire. Pourquoi  ne le fais-je pas  pendre haut et court au gibet de la place royale au milieu du village ? Non, je ne le peux. Sacrifier son fou prédit la même mort à celui qui l'a condamné." Donc Tristan de Marchepied, car tel était son nom, noble des rues, désigné comme tel, fou et bouffon, ménestrel, adoubé par le tribunal de la Cour des Miracles, continuait à faire rire sa majesté et amuser la cour.

 

Dans les multiples poches de son habit, il dissimulait de nombreux petits flacons de plusieurs élixirs, faits à base d'alcool de figues de barbarie lui permettant de grandir pour devenir un géant ou de rapetisser en nain pas plus haut qu'un gobelet de vin. Du plafond de la salle où se tenaient les banquets du roi, Tristan redevenait un myrmidon parcourant les tables en zigzags entre verres de cristal et assiettes en vermeil, trébuchant parfois sur un os de poularde ou une côte de sanglier.

 

Quand il était là-haut, sous les voûtes de pierres, la reine lui aurait bien mis un plumeau entre les mains afin qu'il débarrasse le plafond des toiles d'araignées et de ces bestioles en même temps. Mais bien sûr le protocole lui interdisait de le faire. Lorsqu'il n'avait plus que quinze centimètres de haut en faisant le pitre  entre assiettes et verres elle l'aurait bien vu faire le ramassage des miettes de pain sur la table pour les distribuer aux paons  qui paradaient sur les pelouses royales! Mais là encore elle ne pouvait pas intervenir sans se ridiculiser aux  yeux du roi et de leurs invités. Alors Tristan gambadait en goûtant à tous les plats et aussi aux boissons, chantant ou récitant des poèmes d'antan. Parfois il était en vrai danger quant un convive agacé tentait de le clouer sur la table avec son couteau. Alors il reprenait figure et taille humaine très vite et dans ses poèmes parlés, tous les défauts et mauvaises actions de l'invité en question, livrés à l'assemblée, faisaient bien émettre des cris de surprise aux participants. Et le roi ne manquait jamais de convoquer l'individu  concerné en audience privée pour augmenter les taxes à payer à la couronne ou le jeter au fond des oubliettes, voire le pendre. Tout cela bien entendu en fonction de la gravité des fautes ou tricheries révélées par son fou. Fou ou bouffon et chef de la police secrète de sa majesté?

 

Ces services rendus à la couronne valaient bien les dépenses royales pour héberger, chauffer et nourrir son fou pensa le roi et du coup les moqueries et informations que lui apportait Tristan étaient largement amorties. Les louis d'or et autres ducats gagnés en échange d'un lourd tribu subi par le peuple pour financer gendarmes et soldats et les distractions de la cour, renflouaient par la même occasion la caisse noire et secrète du roi.

 

Ainsi allait la vie à la cour de Croquemou I° entre insolences et rires dont Tristan était à l'origine. Toujours plus fou, toujours plus insolent et pourtant quand il se transformait en ménestrel, ses récits, chansons et  imitations des grands d'autres royaumes n'étaient que sons musicaux délicieux, poétiques et fleuris, pleins d'indulgence pour les régnants voisins.

 

Un soir, où justement les rois et reines des royaumes alentours avaient été conviés à l'anniversaire de Croquemou I°, que la grande salle des fêtes   était au grand complet et que les domestiques allaient chercher des sièges dans les chambres du château pour asseoir tous les participants, que la cour d'honneur était encombrée de carrosses, de chaises à porteurs et des chevaux des attelages, il s'est produit l'impensable!

 

En effet, Tristan comme toujours en pareille occasion, avait donné le meilleur de lui même, se surpassant dans ses cabrioles et changements de taille, avait fait un saut bien haut tout en se retournant sur lui même et avait perdu toutes ses fioles d'élixir magiques. Celles-ci étaient retombées sur les tables où était servi le souper. Aussitôt les grands de ce monde mais aussi les petits sans grade s'étaient précipités sur elles pour goûter. Et le résultat fut...incroyable et surprenant! Croquemou I° s'était immédiatement transformé en un géant hideux obligé de se baisser pour ne pas heurter les plafonds avec sa couronne; la reine mesurait à peine dix centimètres de haut et ressemblait à une figurine en opale à mettre sous vitrine. Pour les autres participants du repas - galantines de faisans, consommé de queues de bœufs, salades de crabes et moules, pintades rôties, têtes de veaux et pieds de porcs, farandole de terrines et salades, agneaux à la broche, fromages des provinces du royaume, desserts de glaces et, enfin, pièce montée de huit niveaux sublimement décorée des grands moments du règne et des actions glorieuses du roi - ils étaient soit grands soit petits! Bien sûr la confusion qui régnait  était à son comble. Les petits râlaient de ne pas être grands et ces derniers de ne pas être revenus à leur taille humaine!

 

Les géants s'accouplèrent entre eux et les lilliputiens firent de même. Les royaumes s'unirent en une fédération couvrant la moitié de la terre et devint le pays le plus puissant du monde. A l'entrée de chaque état étaient affichées les mensurations obligatoires pour y circuler afin qu'aucun carrosse de "grand" n'écrasât ceux des "petits" sous un sabot de cheval. Pour ©faciliter la circulation on inventa les routes périphériques. Tristan, après des années de détention au fond des oubliettes en fut tiré, condamné à mort par noyade et mis dans un verre de vin de Madère qu'il affectionnait particulièrement, avec une soucoupe au dessus pour éviter toute fuite. De grand il avait rapetissé sans l'aide de son élixir ! Comment ? Pourquoi ? L'histoire ne nous le conte pas. Au Pays des Songes les uns devaient apprendre à vivre avec les autres mais en fait et comme souvent, encore aujourd'hui, personne n'était vraiment content de son sort!

 

 

 

FOLIE D'UNE NUIT

PARFOIS VOUS SUIT

TOUTE UNE VIE.

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, septembre 2020.

© Stéphane BERTRAND.

 

 

Publicité
Publicité
15 décembre 2021

LE BUCHERON QUI SE FIT DOCTEUR.

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

 

N° L 29

 

 

 

LE BUCHERON QUI SE FIT DOCTEUR.

 

 

 

Cette légende est très ancienne et nous vient du Canada. Plus précisément  de l'immense région de forêts très denses qui bordent la côte ouest de la Baie d'Hudson. Jacques Cartier n'y avait pas encore posé les pieds en 1534.

 

Là-bas de très grands arbres, beaucoup de sapins noirs mais aussi des érables, recouvrent le sol, serrés les uns contre les autres comme s'ils redoutaient l'hiver rigoureux qui couvre cette contrée six mois par an de neige sur des hauteurs parfois de plus de six mètres d'épaisseur.  La cabane en bois, heureusement construite sur une colline, qu'habitait la famille de Jason  se composait de quatre personnes, ses parents, la mère toujours enceinte et sa plus jeune sœur ainsi que deux chiens et quelques chats roux. Les deux labradors semblaient souvent aboyer  pour rien dans cette immensité blanche et noire mais le père savait bien que des ours, réveillés par la faim dans leur hibernation trop longue et des loups traînaient dans les alentours. Aussi la lance-harpon toujours prête et bien huilée  pendait à un gros clou à côté de la porte d'entrée.

 

Jason avait été élevé à la dure et quand les bûches de bois n'étaient pas rangées au goût de son père celui-ci n'hésitait pas à lui faire sentir les lanières de  cuir cloutées de son martinet.   La fille n'avait rien à craindre, elle savait qu'avec des cicatrices dans le dos elle serait   vendue bien moins chère  au marché indien du printemps prochain. A quatorze ans! Sa remplacante allait naître bientôt. Elle vivrait le même sort qu'elle ainsi que l'avaient fait ses soeurs aînées.

 

Le garçon, Jason, travaillait beaucoup. Entre l'abattage des arbres puis la coupe des branches pour laisser un tronc proprement déshabillé de celles-ci, le débit en bûches de même longueur afin qu'elles se rangent facilement en des murs de bois, bien entassées les unes sur les autres. Elles ne seraient débitées à la taille de l'âtre que bien plus tard et au fur et à mesure des besoins. Il ne se lassait pas d'admirer cette enceinte de bois, minutieusement élevée au centimètre près, et qui, aux premiers flocons de neige, devait encercler la maison.

 

Puis est arrivé le jour où son maudit* outil a ripé sur le bois et avec la force mise dans le mouvement, lui a sectionné la jambe juste en dessous  du genou. Le mollet et le pied se sont enfoncés dans le peu de neige restante la teintant d'un joli rouge qui devenait rose au contact du sang accélérant sa fonte autour du membre.

 

Heureusement que le père de Jason travaillait aussi le bois pas loin de lui. Il se saisit du membre coupé et le rangea dans le tas des bûches de même longueur. Puis Jason évanoui se vit prodiguer les premiers soins qui consistaient à enduire le morceau de cuisse restant de beaucoup de neige glacée pour une cicatrisation plus rapide. Son père le transporta jusqu'à leur cabane où sa mère suréleva la cuisse de son garçon, la posa sur un bout de bois et pansa de moult chiffons, taillés dans un vieux drap et imprégnés de sirop d'érable, son gros moignon.

 

-Dans ses cauchemars, dus à la fièvre élevée, Jason rêvait de murs construits de jambes coupées. De milliers de jambes, raides et congelées, de petites stalactites aux bout des orteils. Il était maintenant un chirurgien de renommée mondiale dans la ville de Mont-Royal qui, pour éviter la fièvre et les douleurs inutiles à ses patients, coupait, sciait au moindre hématome, bras et jambes des malades. Il mesurait les membres avant de les séparer du corps afin qu'ils rentrent, au millimètre prêt, dans les normes qu'il s'était fixé comme pour les stères de bois d'antan. Des fois il coupait les deux pour en avoir une  correspondante aux mensurations désirées et incinérait l'autre. Rares en effet sont les hommes et femmes qui se promènent avec deux jambes rigoureusement identiques et de la même longueur au centimètre prés.

 

-Maintenant Jason errait dans les bois recouverts de neige. Pour avancer il devait creuser des tunnels dans cet amas de flocons blancs. Des fois il arrivait à un carrefour où son chemin croisait celui d'un ours, d'un phoque ou de quelques loups se déplaçant en meute. Les poteaux indiquant les directions diverses étaient des grandes jambes congelées pieds en l'air avec une indication sur une planche de bois clouée sur celle-ci. Le gros doigt de pied était pointé vers où se diriger. Puis il revoyait le même endroit au printemps avec un enchevêtrement de guibolles dégelées les unes sur les autres! Les loups à proximité.

 

-Scier des jambes devenait pour lui une obsession tellement forte qu'il lui en fallait plusieurs en matinée   et, sans changer son tablier ensanglanté, autant l'après-midi. Jason coupait les jambes à tous les patients qui arrivaient aux urgences expliquant que lui le professeur des amputations, savait ce qu'il avait à faire pour soigner les malades... Quant on ne pouvait plus entrer dans la morgue de l'hôpital pour cause de trop de jambes empilées, raidies par le gel et comme des  gros jambons allongés aux bouts des esses comme chez le boucher et des murets de guibolles gardées au frais par des tonnes de glace dans le jardin, enfin le directeur de l'établissement sanitaire réagit.

 

-Un jour, de très bonne heure,  accompagné de quelques  brancardiers costauds, le dirigeant s'habilla en médecin avec blouse et masque réglementaires sans oublier la charlotte. Aussitôt que le "Grand Professeur Jason" arriva dans la salle d'opération, on s'empara de lui. Il fut couché manu-militari sur la table d'opération et le directeur commença alors par lui scier la jambe de bois que son père avait confectionnée après son accident. Puis il passa à l'autre jambe encore valide et la douleur de l'amputation, en morceaux de vingt centimètres de long, devint plus douloureuse.  Pitié cria-t-il! Pas de pitié fut la réponse!  C'est au moment où la tronçonneuse s'attaqua au cou que Jason se réveilla  avec un grand cri et trempé de sueur!

 

Satan, qui lui avait suggéré de s'en prendre aussi aux têtes de ses malades, d'en couper autant que de jambes, disparut de son cerveau avec ses conseils macabres dès que Jason eut repris conscience. Il s'imagina que les combats que son ange gardien avait dû livrer contre Lucifer n'avaient pas été de tout repos. Dans sa tête, toujours légèrement embuée, il voyait les armées du bien contre les armées du mal s'affronter sans pitié. Qui allait emporter la bataille ? Peut-être le saura-t-il après ? Après que le bruit de la tronçonneuse qui avait entamé la peau de son cou et continuait à s'enfoncer, se serait définitivement tue.

 

 

LA FOLIE D'UN SEUL HOMME

PEUT MENER A LA FOLIE BEAUCOUP D'AUTRES.

 

 

* maudit est un qualificatif très utilisé au Canada francophone pour tout ce qui est mauvais ou dérangeant; maudite voiture qui ne veut démarrer, maudit aubergiste ayant servi le vin blanc pas assez frais, etc. Maudite tronçonneuse...

 

 

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, octobre 2020.

© Stéphane BERTRAND. Les contes du Colvert.

 

 

26 novembre 2021

LA FEMME IMMORTELLE.

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° 28L

 

LA FEMME IMMORTELLE.

 

 

 

Elle était une vieille femme qui avait vécu de nombreuses années toute seule après le décès de son époux bien aimé. Il était mort comme il avait vécu, là-bas quelque part dans un désert des terres australes. Impossible de rapatrier son corps, dévoré par les vautours, pour faire son deuil. Qu'aurait elle fait de trois ou quatre os secs et blanchis par le soleil? Elle n'était pas encore très, très vieille, mais très âgée aux yeux de ses voisins. Ceux-ci se succédaient de génération en génération dans leur maison sans qu'un seul pli des rides de son visage ou de son cou, ni de ses mains, ne s'accentuât  chez elle. Et afin de faire revivre tout ce que son mari avait accompli durant sa vie à lui, un jour la vieille dame avait décidé de vivre éternellement! Une décision forte et sans appel, aidée en cela par les esprits immortels scandinaves que son mari avait importé de Norvège.  Elle l'avait prise  comme le point final, que l'on ne discute pas, d'un livre, d'un conte,  de la vie des autres mais pas de  la sienne. Ceci  afin de raconter, voire écrire une légende, qui conterait  tout ce que son homme avait accompli sur terre et survivrait ainsi au temps et à l'oubli.   De la façon, en plus,  comme si elle l'avait toujours accompagné, en permanence à ses côtés, lors de ses très nombreux voyages, pas toujours pour aller tranquillement en congés payés!

 

"Au premier jour de notre rencontre, j'étais debout, enchaînée sur l'estrade d'un marchand d'esclaves. J'avais dix-sept ans. C'était jour de marché! Les badauds achetaient leurs fruits, légumes, épices et viande de la même façon qu'une jeune fille pour accommoder ces mets délicieux et leur servir de domestique jusqu'à un âge avancé.   Quand, plus bonnes à rien, vieillies, édentées, on nous jetait dans la rue sans un sou. C'est ainsi que nous finissions, nous les servantes, notre vie, en mendiantes à quémander un morceau de pain, assises sur les marches de la grande salle de prières surmontée d'une coupole habillée de tuiles vertes et entourée de quatre tourelles. Comme dans tous les bourgs d'Orient. Mais, heureusement, celui qui devait devenir mon mari fidèle, m'a achetée en surenchérissant sans cesse sur les sommes proposées par d'autres acheteurs. Il m'a payée très cher. Plus tard il m'a avoué que cette somme fabuleuse ne correspondait même pas à un millième de l'amour qu'il avait éprouvé pour moi au premier regard. Quelle merveilleuse chance j'ai eue ce jour là! Et quel travail pour les gnomes apprivoisés de ses poches pour confectionner les pièces d'or l'une après l'autre." 

 

"Il avait été capitaine d'un énorme chalutier qui allait pêcher des baleines au pôle Nord  et des sardines au pôle Sud. Une fois il y avait une sirène  prise dans les filets. Elle ne chantait plus mais pleurait à faire monter le niveau de la mer. Le bas de son corps avait des reflets d'arc en ciel. Mon homme l'avait libérée, elle lui avait donné quelques écailles qu'il avait réunies en un joli collier pour moi! En mettant pied sur la banquise, pour quelques jours de repos, il avait choisi un hôtel luxueux entièrement construit en pains de glace. Dans la salle de bains, la glace qui fondait doucement et gouttait du plafond  servait ainsi de douche. Le savon était  fait de graisse de phoque."

 

"Quand il a vécu au sud dans le grand désert d'Afrique, pilotant les caravanes à travers ces immensités, sans poteaux indicateurs au croisement des pistes,  il montait un dromadaire qui lui obéissait à la voix : debout, couché, à genoux, en avant...la monture s'exécutait sans rechigner et le protégeait la nuit entre ses pattes, couchée, le dos tourné du côté d'où venait le vent chargé de sable. Les elfes blancs invisibles, nombreux dans le désert,  berçaient son sommeil léger. Mon mari et ses hommes habillés en bédouins avaient surnommé ces grandes bêtes "les vaisseaux du désert" car leur façon de se déplacer, de roulis en tangage, donnait souvent aux cavaliers un mal de mer avec vomissements à la clé! Souvenir des océans baignant les pôles? Aux extrémités de la terre, en haut ou au bas, pas de mirages! Là, il n'y avait que l'astre le plus adoré au monde, sublimé par les hommes de nombreuses civilisations, pour la chaleur, des dunes, une palmeraie de temps en temps et un puits...asséché!"

 

"A propos d'Afrique, au coeur de ce continent,  mon mari avait été un "Ranger" dans la brousse et la savane, continuellement à la chasse aux braconniers. Ces derniers tuaient  sans distinction les rhinos pour vendre leur corne râpée en poudre aux Asiatiques, les cuissots de "springboks" * pour les barbecues, les trompes d'éléphants aux orchestres locaux, la peau des zèbres comme déco murale, les crinières des lions pour s'en faire des cache-cols bien chauds, exportés dans les pays nordiques et, parmi bien d'autres, la peau des crocodiles pour fabriquer  des chaussures pour dames ou des porte-monnaie pourtant toujours vides dans ces régions!   A un  moment  donné il avait pensé à faire naturaliser les têtes des brigands qu'il avait abattus et les accrocher, comme un trophée de chasse aux murs de sa maison. Heureusement une copine d'alors l'avait persuadé de ne pas le faire car parmi toutes ces têtes il y avait celles de son grand-père, père et un oncle,  son grand 'frère et son ex-mari!"

 

"A un de ses retours en Europe,  il avait inventé le cirque inversé. Les spectateurs étaient des animaux et c'étaient les humains qui faisaient le clown sur la piste. Et pas seulement! Monsieur Loyal était un tigre royal du Bengale, ami de mon mari,  et tout ce petit monde à deux pattes qui avait copieusement fouetté  chameaux, chevaux, zèbres, chats et chiens jusqu'aux éléphants pendant des siècles, lui obéissait au doigt et à l'œil, au moindre rugissement. C'est sûr, il n'avait pas besoin de long fouet ou de griffe d'acier acérée pour mettre les humains à genoux, les faire sauter à travers un cerceau enflammé ou saluer d'une courbette les spectateurs. Ceux-ci applaudissaient, qui avec ses quatre pattes ou leurs cornes, qui avec leur trompe et oreilles, ou en dessinant de jolies arabesques avec leurs queues en l'air sous les moustaches de leurs voisins. Le numéro préféré était, sans conteste, celui du dressage des mauvais garçons qu'il avait sortis de prison et dont il y en avait toujours un qui servait de casse-croûte au dresseur en fin de spectacle! Le sable de la piste absorbait bien, sans laisser de trace, tout ce qui était rouge. Là aussi "Fée Palette" veillait!"

 

"Lorsqu'il posait son avion à réaction sur le bout de la piste d'atterrissage quelque part aux Amériques,  ses copains lui demandaient à quelle hauteur il était monté? "Aujourd'hui je ne sais pas trop car en passant au-dessus d'une grande ville j'ai fait tomber toutes les antennes qui finissaient en forme de mains, l'index levé, en haut des gratte-ciel. J'ai atterri plus tôt que prévu car cela me démange partout! Au prochain vol j'irai déchirer les nuages où se prélassent les anges depuis qu'ils sont, eux aussi, aux trente-cinq heures hebdomadaires au lieu d'assurer une permanence de vingt-quatre heures par jour comme il convient à tout ange gardien!"

 

"Il avait aussi voyagé aux Indes lointaines où, et c'était une de ses manies, il avait chargé à dos d'un pachyderme  un village de chasseurs d'ivoire. Ces derniers coupaient et sciaient les cornes des éléphants  pour en faire des sculptures et les vendre aux voyageurs passant par là. Plus près de nous en Europe, avec une petite armée à sa solde et de gros véhicules, il avait libéré au pays le plus bas, des milliers de visons que l'on y élevait pour leur fourrure. Mais qui en ce siècle porte encore manteaux ou vestes en peaux d'animaux? Les cirques y sont passés aussi, les animaux enchaînés libérés. Ils vivent maintenant dans de très grands zoos, bien protégés des vandales assoiffés de sang. Là encore, elfes, magiciens, nains et géants échappés des livres des enfants, fées et dragons divers, l'avaient bien aidé à construire ces refuges. Et mon mari en était l'ingénieur principal, leur chef d'orchestre."

 

"Ah! J'ai failli oublier qu'il avait aussi exercé le métier de Gaucho dans le sud extrême de l'Amérique latine. Il galopait à travers la pampa sauvage pour attraper des chevaux qui y vivaient en liberté. Mon homme avait alors un cheval dirigé par un "elfe des plaines" qui se tenait sans peine sur son épaule droite, lisait dans son cerveau et transmettait en langage codé les ordres à son fier alezan.  Chevauchées de jour comme de nuit dans des paysages à la beauté indescriptible. C'est de là-bas qu'il m'avait rapporté une selle cloutée de diamants, comme le bord supérieur de ses bottes, qui m'ont bien aidé pour vivre après son décès. En les faisant sauter de leur écrin confortable, un par un tous les six mois, j'allais faire mes courses. Aujourd'hui la selle est bien ordinaire et ne brille plus du tout, faute de cirage sans doute!"

 

" Mais assez bavardé pour aujourd'hui; Peut-être qu'un jour, si mes souvenirs ne vous ennuient  pas trop, je vous raconterai pourquoi il avait toujours son scalp, sauvé des Sioux où il était attaché à un poteau,  par Buffalo Bill.  Comment il avait survolé des volcans à dos d'un dragon dressé;  qu'il avait servi d'espion aux rois de France et d'Angleterre; comment il a survécu en Sibérie vivant en bonne entente avec les ours blancs et les grizzlis par moins 65° et bien des autres aventures. Mais pour ce soir je m'arrête là. Comprenez qu'à mon âge la fatigue se fait sentir de bonne heure et la soif aussi!"

 

 

 

 

 

 

LA VIE COMMENCE ET FINIT SOUVENT EN PLEURS

MEME QUAND ON LA TRAVERSE SANS PEURS.

 

 

* Springboks: Ce sont de jolies petites gazelles du désert, couleur sable, vivants en groupe sous l'autorité d'un mâle dominant.

 

 

Le Colvert, Baudienville, juillet 2020.

© Stéphane Bertrand.

 

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° 28L

 

LA FEMME IMMORTELLE.

 

 

 

Elle était une vieille femme qui avait vécu de nombreuses années toute seule après le décès de son époux bien aimé. Il était mort comme il avait vécu, là-bas quelque part dans un désert des terres australes. Impossible de rapatrier son corps, dévoré par les vautours, pour faire son deuil. Qu'aurait elle fait de trois ou quatre os secs et blanchis par le soleil? Elle n'était pas encore très, très vieille, mais très âgée aux yeux de ses voisins. Ceux-ci se succédaient de génération en génération dans leur maison sans qu'un seul pli des rides de son visage ou de son cou, ni de ses mains, ne s'accentuât  chez elle. Et afin de faire revivre tout ce que son mari avait accompli durant sa vie à lui, un jour la vieille dame avait décidé de vivre éternellement! Une décision forte et sans appel, aidée en cela par les esprits immortels scandinaves que son mari avait importé de Norvège.  Elle l'avait prise  comme le point final, que l'on ne discute pas, d'un livre, d'un conte,  de la vie des autres mais pas de  la sienne. Ceci  afin de raconter, voire écrire une légende, qui conterait  tout ce que son homme avait accompli sur terre et survivrait ainsi au temps et à l'oubli.   De la façon, en plus,  comme si elle l'avait toujours accompagné, en permanence à ses côtés, lors de ses très nombreux voyages, pas toujours pour aller tranquillement en congés payés!

 

"Au premier jour de notre rencontre, j'étais debout, enchaînée sur l'estrade d'un marchand d'esclaves. J'avais dix-sept ans. C'était jour de marché! Les badauds achetaient leurs fruits, légumes, épices et viande de la même façon qu'une jeune fille pour accommoder ces mets délicieux et leur servir de domestique jusqu'à un âge avancé.   Quand, plus bonnes à rien, vieillies, édentées, on nous jetait dans la rue sans un sou. C'est ainsi que nous finissions, nous les servantes, notre vie, en mendiantes à quémander un morceau de pain, assises sur les marches de la grande salle de prières surmontée d'une coupole habillée de tuiles vertes et entourée de quatre tourelles. Comme dans tous les bourgs d'Orient. Mais, heureusement, celui qui devait devenir mon mari fidèle, m'a achetée en surenchérissant sans cesse sur les sommes proposées par d'autres acheteurs. Il m'a payée très cher. Plus tard il m'a avoué que cette somme fabuleuse ne correspondait même pas à un millième de l'amour qu'il avait éprouvé pour moi au premier regard. Quelle merveilleuse chance j'ai eue ce jour là! Et quel travail pour les gnomes apprivoisés de ses poches pour confectionner les pièces d'or l'une après l'autre." 

 

"Il avait été capitaine d'un énorme chalutier qui allait pêcher des baleines au pôle Nord  et des sardines au pôle Sud. Une fois il y avait une sirène  prise dans les filets. Elle ne chantait plus mais pleurait à faire monter le niveau de la mer. Le bas de son corps avait des reflets d'arc en ciel. Mon homme l'avait libérée, elle lui avait donné quelques écailles qu'il avait réunies en un joli collier pour moi! En mettant pied sur la banquise, pour quelques jours de repos, il avait choisi un hôtel luxueux entièrement construit en pains de glace. Dans la salle de bains, la glace qui fondait doucement et gouttait du plafond  servait ainsi de douche. Le savon était  fait de graisse de phoque."

 

"Quand il a vécu au sud dans le grand désert d'Afrique, pilotant les caravanes à travers ces immensités, sans poteaux indicateurs au croisement des pistes,  il montait un dromadaire qui lui obéissait à la voix : debout, couché, à genoux, en avant...la monture s'exécutait sans rechigner et le protégeait la nuit entre ses pattes, couchée, le dos tourné du côté d'où venait le vent chargé de sable. Les elfes blancs invisibles, nombreux dans le désert,  berçaient son sommeil léger. Mon mari et ses hommes habillés en bédouins avaient surnommé ces grandes bêtes "les vaisseaux du désert" car leur façon de se déplacer, de roulis en tangage, donnait souvent aux cavaliers un mal de mer avec vomissements à la clé! Souvenir des océans baignant les pôles? Aux extrémités de la terre, en haut ou au bas, pas de mirages! Là, il n'y avait que l'astre le plus adoré au monde, sublimé par les hommes de nombreuses civilisations, pour la chaleur, des dunes, une palmeraie de temps en temps et un puits...asséché!"

 

"A propos d'Afrique, au coeur de ce continent,  mon mari avait été un "Ranger" dans la brousse et la savane, continuellement à la chasse aux braconniers. Ces derniers tuaient  sans distinction les rhinos pour vendre leur corne râpée en poudre aux Asiatiques, les cuissots de "springboks" * pour les barbecues, les trompes d'éléphants aux orchestres locaux, la peau des zèbres comme déco murale, les crinières des lions pour s'en faire des cache-cols bien chauds, exportés dans les pays nordiques et, parmi bien d'autres, la peau des crocodiles pour fabriquer  des chaussures pour dames ou des porte-monnaie pourtant toujours vides dans ces régions!   A un  moment  donné il avait pensé à faire naturaliser les têtes des brigands qu'il avait abattus et les accrocher, comme un trophée de chasse aux murs de sa maison. Heureusement une copine d'alors l'avait persuadé de ne pas le faire car parmi toutes ces têtes il y avait celles de son grand-père, père et un oncle,  son grand 'frère et son ex-mari!"

 

"A un de ses retours en Europe,  il avait inventé le cirque inversé. Les spectateurs étaient des animaux et c'étaient les humains qui faisaient le clown sur la piste. Et pas seulement! Monsieur Loyal était un tigre royal du Bengale, ami de mon mari,  et tout ce petit monde à deux pattes qui avait copieusement fouetté  chameaux, chevaux, zèbres, chats et chiens jusqu'aux éléphants pendant des siècles, lui obéissait au doigt et à l'œil, au moindre rugissement. C'est sûr, il n'avait pas besoin de long fouet ou de griffe d'acier acérée pour mettre les humains à genoux, les faire sauter à travers un cerceau enflammé ou saluer d'une courbette les spectateurs. Ceux-ci applaudissaient, qui avec ses quatre pattes ou leurs cornes, qui avec leur trompe et oreilles, ou en dessinant de jolies arabesques avec leurs queues en l'air sous les moustaches de leurs voisins. Le numéro préféré était, sans conteste, celui du dressage des mauvais garçons qu'il avait sortis de prison et dont il y en avait toujours un qui servait de casse-croûte au dresseur en fin de spectacle! Le sable de la piste absorbait bien, sans laisser de trace, tout ce qui était rouge. Là aussi "Fée Palette" veillait!"

 

"Lorsqu'il posait son avion à réaction sur le bout de la piste d'atterrissage quelque part aux Amériques,  ses copains lui demandaient à quelle hauteur il était monté? "Aujourd'hui je ne sais pas trop car en passant au-dessus d'une grande ville j'ai fait tomber toutes les antennes qui finissaient en forme de mains, l'index levé, en haut des gratte-ciel. J'ai atterri plus tôt que prévu car cela me démange partout! Au prochain vol j'irai déchirer les nuages où se prélassent les anges depuis qu'ils sont, eux aussi, aux trente-cinq heures hebdomadaires au lieu d'assurer une permanence de vingt-quatre heures par jour comme il convient à tout ange gardien!"

 

"Il avait aussi voyagé aux Indes lointaines où, et c'était une de ses manies, il avait chargé à dos d'un pachyderme  un village de chasseurs d'ivoire. Ces derniers coupaient et sciaient les cornes des éléphants  pour en faire des sculptures et les vendre aux voyageurs passant par là. Plus près de nous en Europe, avec une petite armée à sa solde et de gros véhicules, il avait libéré au pays le plus bas, des milliers de visons que l'on y élevait pour leur fourrure. Mais qui en ce siècle porte encore manteaux ou vestes en peaux d'animaux? Les cirques y sont passés aussi, les animaux enchaînés libérés. Ils vivent maintenant dans de très grands zoos, bien protégés des vandales assoiffés de sang. Là encore, elfes, magiciens, nains et géants échappés des livres des enfants, fées et dragons divers, l'avaient bien aidé à construire ces refuges. Et mon mari en était l'ingénieur principal, leur chef d'orchestre."

 

"Ah! J'ai failli oublier qu'il avait aussi exercé le métier de Gaucho dans le sud extrême de l'Amérique latine. Il galopait à travers la pampa sauvage pour attraper des chevaux qui y vivaient en liberté. Mon homme avait alors un cheval dirigé par un "elfe des plaines" qui se tenait sans peine sur son épaule droite, lisait dans son cerveau et transmettait en langage codé les ordres à son fier alezan.  Chevauchées de jour comme de nuit dans des paysages à la beauté indescriptible. C'est de là-bas qu'il m'avait rapporté une selle cloutée de diamants, comme le bord supérieur de ses bottes, qui m'ont bien aidé pour vivre après son décès. En les faisant sauter de leur écrin confortable, un par un tous les six mois, j'allais faire mes courses. Aujourd'hui la selle est bien ordinaire et ne brille plus du tout, faute de cirage sans doute!"

 

" Mais assez bavardé pour aujourd'hui; Peut-être qu'un jour, si mes souvenirs ne vous ennuient  pas trop, je vous raconterai pourquoi il avait toujours son scalp, sauvé des Sioux où il était attaché à un poteau,  par Buffalo Bill.  Comment il avait survolé des volcans à dos d'un dragon dressé;  qu'il avait servi d'espion aux rois de France et d'Angleterre; comment il a survécu en Sibérie vivant en bonne entente avec les ours blancs et les grizzlis par moins 65° et bien des autres aventures. Mais pour ce soir je m'arrête là. Comprenez qu'à mon âge la fatigue se fait sentir de bonne heure et la soif aussi!"

 

 

 

 

 

 

LA VIE COMMENCE ET FINIT SOUVENT EN PLEURS

MEME QUAND ON LA TRAVERSE SANS PEURS.

 

 

* Springboks: Ce sont de jolies petites gazelles du désert, couleur sable, vivants en groupe sous l'autorité d'un mâle dominant.

 

 

Le Colvert, Baudienville, juillet 2020.

© Stéphane Bertrand.

 

26 octobre 2021

L'ANE MENTEUR ET LE CHEVAL FOU.

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

 

N° 27L

 

 

L'ÂNE MENTEUR ET LE CHEVAL FOU.

 

 

L'un devant et l'autre derrière, à tour de rôle, ou côte à côte, l'âne menteur et le cheval fou,  marchaient d'un pas de sénateur sur le chemin  millénaire  appelé aussi El Camino*. Escarpé, il longeait les hautes falaises blanches à plus de cent mètres au-dessus du niveau de la mer en contrebas. La vue sur l'océan depuis le haut plateau de la Meseta était magnifique. Le soleil commençait à décliner à l'ouest en s'approchant, au loin, de la surface de l'eau pour son quotidien bain de minuit très prolongé.

 

Le cheval fou dit: - A moins que tu veuilles prendre ton bain aussi, il nous faut trouver un endroit agréable pour la nuit. Je suis fatigué et ne caracolerai pas ce soir comme dans les cirques d'antan où  j'étais champion du monde dans ma discipline! Car comme les lionnes, je sautais à travers un cercle enflammé mais sans me griller les poils en passant, ni la crinière.

 

L'âne menteur répond: - Rêve de Folie! D'un saut, si je veux je peux  rejoindre l'astre roi comme quand j'étais au Cap Canaveral pour escorter les astronautes jusqu'à leur fusée. Mais ce soir j'ai besoin d'herbe fraîche  bien grasse. Allez avance, à te retourner pour me causer tu vas finir par me faire tomber !

 

Le cheval fou: - Menteur !

 

L'âne menteur: - Vieux fou!

 

Lors de leur cheminement en commun depuis les grands espaces de l'Aubrac, en passant par Roncevaux, le cheval fou aimait bien  se vanter  de ses folies passées. L'âne les a toujours rangées dans la case "fabulations" de son cerveau tout en y tirant quelques mensonges à faire plus tard. Ainsi ils avaient trouvé une nouvelle raison quotidienne de se chamailler. Cela faisait partie du jeu. Fou ou menteur, menteur ou fou, où était la vérité? Qui avait raison? Tous deux ont fini par trouver un lieu à leur convenance à l'orée d'un bois de pins maritimes. Le cheval, pas si fou, se coucha à l'ombre sur de la mousse encore légèrement  humide. L'âne menteur broutait à quelques pas.

 

Le cheval fou dit: - Tu as les oreilles plus grandes que les miennes, une fois encore tu seras de garde cette nuit ! Rappelle-toi le tirage au sort que nous avons fait à ce sujet il y a très longtemps déjà et le perdant c'était toi!

 

L'âne menteur: - C'est faux! C'est toi qui avais perdu!

 

Le cheval fou: -Je ne suis pas assez fou pour oublier cela. Comme d'habitude tu mens!

 

Sur cet échange le cheval s'endormit et l'âne vint le rejoindre un peu plus tard, le ventre plein. Le cheval fou rêvait aux nombreux rois qui l'avaient enfourché pour parader par-ci par-là, aux banquets majestueux auxquels il avait participé, du bon foin à sa portée. Il se voyait encore galoper en tête des armées du roi entrainant tout ce monde à l'attaque de l'ennemi. Cris, charniers, boulets de canon le frôlant, ramassant "Sa Majesté" désarçonnée avec ses dents pour le remettre en selle... Alors que tout au fond de lui même il savait n'avoir jamais quitté le pré où il était né, là-haut dans une presqu'île verte entourée d'eau des trois côtés. Mais par moments ces événements n'étaient que réalité en son esprit, comme s'il les avait vécus réellement.

 

-Réveille-toi, cria l'âne menteur au milieu de la nuit. - Des brigands ont voulu nous enlever pour faire de nous leurs montures. Le temps de se disputer à qui prendra le cheval, toi, ou moi l'âne, j'ai réussi à te ramener ici en te sauvant la vie! Tu pourrais au moins me dire merci.

 

Le cheval fou, tout à ses exploits passés et en baillant lui répondit : - Ce n'est qu'un mauvais rêve ou un grand mensonge, le ventre trop plein fait faire des cauchemars ou empêche de dormir. Ton herbe doit macérer et l'alcool qu'elle produit mélangé à tes sucs gastriques te dérange le cerveau. Allez fiche moi la paix, j'ai encore à revoir certains aspects intéressants de ma vie passée.

 

L'âne menteur : - Vie passée, quelle vie? Dans ton enclos, cela m'étonnerait que tu ais vu passer les Vikings! Mais peut-être que tu as confondu les moutons que tu comptais pour t'endormir avec les millions de mes ancêtres qui fuyaient les marais salants, au sud-ouest de ton champ, en perdant leurs culottes ridicules dont l'homme les avait affublés pour les protéger des morsures du sel.  Je suis fatigué après mes exploits nocturnes, laisse moi me reposer.

 

Le cheval fou: - Qui t'en empêche? Tu vas dire "Toi" et un mensonge de plus à ton compteur! J'ai peur que ce dernier n'explose un jour. Et puis, toi à force de tourner en rond autour de ta noria ou puits à delou pour faire remonter à la surface quelques litres d'eau dans une vieille peau de chèvre, qui vivante était ta copine, ce n'est pas plus glorieux, crois moi!

 

La symphonie matinale du chœur des oiseaux tira nos deux compères de leur sommeil. Un cerf passa pas loin suivi  de sa biche et d'un faon, qui, curieux comme tous les enfants, vint renifler le cheval fou et l'âne menteur. Et tous ensemble, les voilà dans la prairie pour le petit déjeuner avec de l'herbe dégoulinante de rosée fraîche. Dans la matinée et sous un beau soleil, nos deux équidés  reprirent leur route.

 

Le cheval fou: - Tu vois ce château aux jardins bien entretenus, dans ma jeunesse  j'étais le seul poulain du haras à avoir le droit d'y gambader. Il est vrai que le fils de la famille royale, le prince héritier, avait dû supplier son père le roi, pour lui permettre de transformer en arène de dressage ce gazon royal.

 

L'âne menteur: - Fou, plus fou que toi où faut-il aller pour le trouver? Aucun cheval, même ceux de la garde, n'a foulé cette herbe bien tondue. Par contre moi, j'y avais le droit de faire mes besoins!

 

Le cheval fou: - J'avais oublié que nous nous connaissions déjà à cette époque ! Menteur, va!

 

La journée s'est déroulée  en frictions amicales entre l'âne et le cheval qui avançaient tous deux  vers le but de leur voyage. Encore quelques jours et un peu de patience, surtout sans perdre un fer de leurs sabots.

 

Le cheval fou, très observateur: - Tiens voilà un petit sentier qui descend vers la plage! Empruntons-le, nous y avons à faire. En maugréant l'âne menteur suivit son copain et ami. Sur le sable le cheval ramassa avec sa gueule quelques algues échouées là. Il les mâchonna longtemps et elles ressortirent comme un crachat sous forme de deux fins cordons. Il y accrocha deux belles coquilles Saint Jacques ramassées au bord de l'eau. Dans les temps lointains, ces coquilles non seulement servaient de preuve d'avoir effectué ce voyage spirituel mais aussi pour manger et boire. C'est à travers les siècles qu'elles sont devenues le symbole de ce déplacement.

 

Le cheval fou: - Viens ici mon âne préféré bien que grand menteur.

 

L'âne menteur: - Que veux tu encore cheval fou bien aimé, tu me déranges, j'admirais l'horizon.

 

Le cheval fou: - Viens quand même que je te remette ce talisman qui nous rendra invisibles des humains, pèlerins comme nous ou simples autochtones.

 

Ainsi fut fait et nos deux compères, sans plus se faire remarquer, poursuivirent leur route jusqu'à la grande place devant la cathédrale inaugurée en l'an 899,  leur dernière étape. Seul le bruit de leurs sabots sur le dallage était audible dans l'immense édifice, le silence et le recueillement des      voyageurs humains. Encore un message de Saint-Jacques,  lui qui était descendu du ciel sur un blanc destrier,  disait: - Aimez vous les uns les autres sans oublier nos amis les ânes et les chevaux!

 

 

 

LONGUE VIE AUX CHEVAUX FOUS d'ALLER FAIRE LA GUERRE

ENTRAÎNES PAR L'HOMME A CE FAIRE.

LONGUE VIE AUX ÂNES MENTEURS DES MARAIS SALANTS

PORTANT HABITS SEULEMENT AUX PATTES DE DEVANT.

 

 

 

 

 

* Le proverbe veut que tous les chemins mènent à Rome. Quant aux nombreux chemins qui se dirigent vers Saint Jaques de Compostelle, les pèlerins, depuis des siècles, les connaissent sous l'appellation "El Camino".   "Le chemin" en  la langue de Cervantès et au singulier malgré leur nombre. Chacun le sien.

 

 

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, juin 2020.

© Stéphane Bertrand.

 

 

16 septembre 2021

LA CLASSE.

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° 26L

 

 

LA CLASSE.

 

 

Iktomi était un esprit malin mais pas encore malsain. Pour cela il devait grimper les échelons dans la hiérarchie de la famille des "esprits" et faire ses preuves. Et nous pouvons aisément comprendre que les épreuves exigées pour être malsain n'étaient pas de tout repos et non sans sang humain! Et ce passage de "malin" à "malsain" devait se dérouler sur la durée de toute une longue année. Un  jour de retard, une année pour recommencer!

 

La classe était une classe ordinaire composée d'un maître d'école et de douze élèves. Il y avait là  des enfants entre neuf et treize ans,  cinq filles et sept garçons. Le maître leur enseignait les principales disciplines indispensables pour se débrouiller plus tard dans leur vie d'adulte. Quant aux leçons de la rue, débrouillardise, être toujours le plus fort, le plus rusé  et savoir courir vite,  il y a longtemps qu'ils en connaissaient les règles à traîner dehors jusque tard le soir, dans le village, les champs et forêts alentours.

 

Le père d'Iktomi avait été un dieu.  Même ceux de la lignée à laquelle il avait appartenu étaient mortels après mille ans de bons et loyaux services. Un grand dieu honoré par son peuple. La légende très ancienne et qui nous vient du nord du continent sud-américain, raconte que ce père, d'origine aztèque,  avait créé la terre et sur celle-ci, les arts et la beauté, la danse et les fleurs, enfin tout ce qui était  gracieux et agréable à l'œil humain. Et en même temps il était  le maître absolu des esprits malsains.  Les contradictions d'un dieu et les regrets, que les humains ou ces revenants mourants emportaient avec eux, cohabitaient paisiblement dans les cerveaux d'antan des esprits...

 

Les douze enfants de ce village ordinaire avaient été élus par Iktomi pour lui servir à faire ses preuves. C'est en jouant dans les bois et en commettant tant de crimes contre la nature que ces douze là avaient attiré l'attention de l'esprit et devaient payer leurs forfaits. Creuser la mousse et la retourner, effeuiller des branches entières voire en couper, arracher fougères et fleurs des sous-bois, grimper aux arbres pour fouiller dans un nid de chouette et jeter les œufs par terre, poser des lacets mortels devant le trou du refuge d'un renard ou d'un lièvre, écraser tant de petites plantes et d'animaux minuscules sur leur passage, tout cela constituait des crimes qui devaient être jugés devant le grand tribunal vert de Dame Nature.

 

Le premier écolier disparut le premier janvier de l'année suivante. Malgré d'innombrables battues dans les champs et les forêts le jeune garçon resta introuvable. Dans ces conditions le deuil fut difficile pour les familles et ne put se faire que le dernier jour de ce même mois après que les parents aient trouvé, le matin, un joli petit sac en velours bleu, contenant environ deux cent soixante* petits os blancs, vernis et brillants. Une étiquette,  au bout de la cordelette fermant cette bourse, portait le prénom de l'enfant disparu!

 

La stupeur dans le village fut grande, la famille en pleurs. D'autres investigations furent menées mais toujours sans aucun résultat positif. Cette stupeur, cette horreur bien compréhensible s'amplifia le lendemain premier février avec la disparition d'une fillette de neuf ans. Et toujours aucune piste ni de demande de rançon. Des renforts de gendarmes furent stationnés à l'entrée du village au fond de la vallée et leurs rondes incessantes  de jour comme de nuit. Les habitants s'enfermaient dès la tombée de la nuit à double tour et les plus jeunes des enfants dormaient entre les parents dans le grand lit familial présent dans cette même chambre, de cette même maison, depuis des générations.

 

Le dernier jour de ce mois de février les parents de la gamine, en sortant de chez eux, buttèrent sur un sac rose en velours... Bien entendu le cordon servant à sa fermeture portait le nom de la petite. Et ainsi de suite... alors que le village était bouclé comme s'il était en état de siège et que les forces de l'ordre étaient en nombre cinq fois plus importantes que les villageois. Et pourtant les derniers jours de chaque mois les parents continuèrent à trouver devant leur porte un joli sac en velours rose ou bleu. Et le lendemain un enfant disparaissait!

 

A compter du premier décembre le maître d'école fut au chômage forcé. L'école ferma, les troupes étaient rentrées dans leurs casernes faute de recherches et enquêtes infructueuses, le garde-champêtre se retrouva seul à veiller sur un village en deuil   et dont aucun habitant ne pensait plus à la période de fêtes qui allait commencer dans quelques jours. Si quelques raies de lumière ne filtraient pas entre deux volets mal joints le soir venu, on aurait pu penser à un village abandonné. L'hiver venant à grands souffles de vent et de neige, les villageois s'étaient calfeutrés chez eux, sous leur toit blanchi, ne sortant que pour le strict nécessaire. Comme l'ours, le village hivernait. Personne ne parlait de festoyer ou d'une célébration à minuit.

 

Iktomi avait franchi brillamment les épreuves et reçu son diplôme  de "malsain" sous les applaudissements de ses semblables et leurs félicitations enthousiastes. Dans la forêt la fête battait son plein, les esprits buvaient, dansaient et ne manquaient jamais, en passant près d'Iktomi, de le féliciter encore et encore. Quelle belle nuit!  Un esprit "sage" et déjà très âgé s'approcha de lui en murmurant à ses oreilles : "Ton état "d'esprit malsain" est parfait pour notre monde mais comme tout "esprit" nous avons tous une parcelle d'humanité en nous! N'oublie pas de l'activer à l'heure où tant d'humains sont dans une tristesse très profonde."

Iktomi réfléchit quelques instants aux paroles de l'aïeul et trouva la solution qui lui paraissait être la meilleure, puis passa à l'action.

 

Dans le village endormi à minuit les cloches de l'église se mirent à sonner, sans l'aide du curé, à la volée. Si fort que les parents ayant perdus leurs petits, entendirent à peine leur propre cloche à l'entrée de leurs maisons. Douze petites cloches se mêlèrent à celles du clocher du village. Peu à peu les lumières s'allumèrent dans les chaumières et avec méfiance on demanda qui carillonnait avec tant d'insistance?  " Mais c'est moi! Dépêchez vous de m'ouvrir, il fait si froid dehors!" Ne croyant pas leurs oreilles les portes des maisons s'entrebâillaient avec précautions. Et là ce fut un déferlement de bonheur qui entrait dans ces habitations en même temps que les enfants qui leur avaient trop manqué! Quel retour inespéré! Les larmes de chagrin, de ces derniers mois, se transformèrent vite en larmes de joie. "Demain nous ferons la fête! Et cela jusqu'à nouvel an!" Les bases de nos vacances de fin d'année étaient posées.

 

 

 

 

UN SIECLE PLUS TARD,

A L'ENTREE DU VILLAGE,

UNE STATUE D'IKTOMI SCULPTEE AVEC ART

POUR A L'ESPRIT RENDRE HOMMAGE.

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville en confinement, mai 2020.

© Stéphane BERTRAND.

 

  

 

* Le corps d'un enfant compte environ 300 os à la naissance. Certains d'entre eux deviennent un seul ou disparaissent pendant la croissance. L'adulte ne possède plus que deux cent six os environ.

Publicité
Publicité
16 août 2021

LE PETIT HOMME.

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 25

 

 

LE PETIT'HOMME.

 

Le mot "petit" semblait grand pour le qualifier par rapport à sa taille d'aujourd'hui. Avant d'être devenu un "petit homme" il avait été un très gros et beau bébé. Nourrisson, il avait été élevé au bon lait entier de la ferme d'à côté puis nourri plus tard avec tout ce qu'il y avait de meilleur. Légumes choisis, de la viande seulement le filet, fruits de toute première qualité et beaucoup de laitages à divers parfums, formaient la base de ses repas deux fois par jour sans parler des croissants pur beurre le matin au réveil, des casse-croûtes au chocolat noir l'après-midi. Et plus il mangeait, plus il maigrissait en rapetissant à la fois. Quand il atteignit ses dix-huit ans il ne mesurait plus que vingt centimètres de haut!

 

Son père était mort de chagrin. Lui qui rêvait d'un champion olympique, gagnant toujours toutes les épreuves avec finalement un problème d'articulation du cou à force de s'incliner sous le poids des médailles d'or. Sa mère avait été malheureuse au début mais maintenant elle s'y était faite, elle jouait à la poupée comme lors de son enfance. Mais le "petit'homme" en avait assez de changer de vêtements au gré de l'humeur de sa mère. Il râlait souvent d'être traité comme un bébé mais son fond était bon et empli d'amour pour elle.

 

Elle, la maman du "petit'homme", l'emmenait  pour aller se promener ou faire ses courses au grand magasin au bout de la rue. Lui, le "petit'homme", était soit dans une poche latérale de son imperméable ou bien niché au fond de son sac à mains. A la toute première visite à la boulangerie, au moment de vouloir sortir son porte-monnaie, à peine la main plongée dans le sac elle sentit une pièce entre ses doigts - encore une que j'ai dû mettre à côté de ma petite bourse - et la tendit aussitôt à la caissière. "Oh Madame, pour un "Louis d'or" ancien je  n'aurai jamais assez de monnaie à vous rendre et vous pourriez bien, en négociant avec mon mari, nous acheter le fond!" La maman du "petit'homme" reprit le "louis" pour le remettre dans le sac. Et elle entendit la petite voix de son fils "T'inquiète pas Maman, t'en auras bien d'autres et celle-ci tu aurais pu la laisser à la patronne du magasin."  En sortant, les gens qui faisaient la queue pour être servis, ayant entendu la conversation, s'inclinèrent respectueusement, sur son passage. Geste millénaire, dit-on,  devant l'or et le riche qui le possède!

 

Une fois à la maison la mère sortit de son sac le "petit'homme", son fils. Celui-ci, de sa voix fluette, lui expliqua qu'il lisait dans ses pensées et que   son mini cerveau - petit uniquement par la taille mais grand par l'esprit - lui dictait les gestes à faire ainsi que les interventions à réaliser. Par exemple, quand sa mère, un peu distraite, ne regardait pas la circulation de la route et s'engageait sur la chaussée pour traverser, il tirait la sonnette d'alarme et aussitôt celle-ci regardait bien des deux côtés avant de s'élancer. Le "petit'homme" dit aussi à sa maman que des pièces comme celle de la boulangerie il pouvait lui en fournir autant qu'elle souhaitait et lui rendre service de mille autres façons! "Tiens, que veux tu manger se soir ? Demande moi!" Il y a longtemps qu'elle rêvait d'une demie langouste grillée avec deux verres de blanc sec. Une seconde plus tard elle était servie! Le "petit'homme" se régala avec le même dîner mais réduit à sa taille. A partir de ce moment la cuisine ne servit plus à grand'chose dans leur maison. Même pas pour le petit déjeuner car tout était servi sur la table de la salle-à-manger.

 

La mère du "petit'homme" ne réfléchit point longtemps et lui demanda de remplir la bassine en cuivre, dans laquelle elle cuisait ses confitures, de pièces d'or afin de se constituer une réserve sérieuse. On ne sait jamais, se dit-elle, et si un jour il perdait son don ? Debout sur la table de la cuisine agrippé au bord de la casserole, grande comme une piscine pour lui, le "petit'homme" fit claquer ses doigts et le bruit des pièces d'or qui tintaient contre le fond en cuivre du chaudron réjouissait sa mère. Il faut dire ici que ce n'était pas par avarice qu'elle était heureuse mais plutôt parce qu'elle voyait s'éloigner de son foyer la peur de manquer. Une hantise qui se faisait jour toutes les fins de mois au moment de toucher sa paye.  "En aurai-je assez pour boucler ces quatre semaines ?"

 

La vie fut belle après cette journée pour une veuve presque joyeuse et son "petit" qui ne la quittait plus un seul instant. La maman et son "banquier" ont commencé à envahir les boutiques chics achetant à prix d'or tout ce qui leur tombait sous la main. Puis une cave à vin, étagères et bouteilles, un grand congélateur garni avec de quoi manger pendant des mois, le jardin fut refait avec les fleurs, arbustes et arbres les plus beaux, les plus exotiques et un jardinier à plein temps pour s'en occuper. Il ne manquait plus que la voiture de grand luxe avec chauffeur, ce fut vite fait. Vint très vite le moment où la mère du "petit'homme" ne voyant plus rien à acquérir se calma un peu, se contentant des saluts des autres quand elle daignait se montrer. Avion particulier ? Non, pas de place pour installer une piste; un bateau type yacht de milliardaire ? Non, pas de ruisseau à proximité et la mer était trop éloignée de la maison. Il aurait fallu un avion pour s'y rendre! Son esprit, tel un manège, tournait en rond!

 

Les mendiants qui se pressaient devant la grille du parc, elle n'y pensait guère. Aux bonnes œuvres de la ville, pas plus! Dommage ! Car il arriva un jour où son "petit'homme" avait ses mains et doigts enflés et était dans l'impossibilité de les bouger, de claquer pouce contre majeur, ni de faire apparaître le moindre petit sou,  pas plus qu'un homard grillé ou un cassoulet! Le médecin que la maman fit venir se mit en colère pensant qu'on l'avait dérangé pour soigner une poupée. Mais "la poupée" s'adressa à lui et lui demanda de le soigner en lui donnant les noms des gels, pommades et autres décoctions médicinales à lui appliquer ainsi que leur pourcentage de dosage.

 

Le médecin ébahi par la connaissance pharmaceutique du "petit'homme" soigna ce dernier avec les produits qu'il aurait prescrit lui même avec l'arrière pensée que ce minus lisait dans la sienne. " S'il ne fallait pas d'ordonnance il aurait pu se soigner tout seul!"

 

La maman du "petit'homme" enduit les mains de son fils plusieurs fois par jour du contenant des divers tubes, dosettes ou flacons qu'elle s'était dépêchée  d'aller quérir à la pharmacie la plus proche. Et comme souvent "trop de bien nuit", le proverbe s'est affirmé. A force  de faire tremper les mains de son petit dans toutes sortes de mixtures faites des médicaments mélangés entre eux  "pour guérir plus vite", le seul résultat obtenu fut un nouveau renflement des doigts jugé irréversible par les docteurs consultés à nouveau.

 

C'était la fin annoncée d'une trop grande cupidité  de la part de la mère du "petit'homme !" Plus de homards grillés, plus de gâteries innombrables, plus de bijoux des plus grands joaillers, ni jardinier à demeure ni chauffeur... plus rien de la grandeur qu'elle croyait servir en humble servante en oubliant les plus modestes.

 

Heureusement pour elle, il lui restait le chaudron toujours bien plein!

 

 

 

 

UN PEU DE GENEROSITÉ

EST LA BIENVENUE.

ARGENT ET VANITÉ

FINISSENT SOUVENT A LA RUE.

 

 

 

 

 

 

Le Colvert, Ste. Mère Eglise, en confinement, avril 2020.

© Stéphane Bertrand.

23 juillet 2021

MEGAPÔLE

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 24

 

 

MEGAPOLE

 

 

 

C'était une de ces grandes villes surpeuplée et de tous les extrêmes. Une agglomération comptant plusieurs millions d'habitants où les ouvriers  ayant un emploi et les plus riches vivaient au soleil au-dessus des sous-sols de la ville. Surnommés "Le gruyère", ceux-ci comptaient plus de citoyens à l'ombre qu'à la lumière du jour. Entre les tunnels du métropolitain, les routes et rues pour éviter les carrefours et les conduits pour apporter l'eau et l'électricité et ceux pour évacuer les eaux usagées, sans même évoquer les égouts à l'odeur pestilentielle,  le surnom de ce monde souterrain lui allait bien.

 

Sous le croisement de la 123 ième rue et la 124 ième, plusieurs étages plus bas, dans une misérable cahute faite de planches et de cartons usagés, vivait un couple très pauvre qui avait une petite fille emmaillotée dans des draps sales  et un vieux caddie rouillé comme berceau. Amy, c'était son nom, dit-on, dormait et pleurait là. Elle dormait peu et pleurait beaucoup, surtout de faim. La seule lumière qui arrivait dans cet enfer était celle d'une grille de bouche d'égout à la surface qui  laissait filtrer quelques rayons tristes. C'est aussi par ce chemin que leur arrivait un peu de nourriture, un quignon de pain trop dur, un reste de salade jeté par un passant ou le surplus d'un repas pris pendant la pause du déjeuner encore dans son emballage. Et même ces quelques croûtons il fallait les disputer aux rats aussi affamés qu'Amy et ses parents.

 

L'odeur nauséabonde qui régnait en maître dans ce monde oublié n'incommodait plus ceux qui y séjournaient parce que  refugiés là par nécessité de la vie depuis des années ou de naissance sur place. Amy faisait partie de ces derniers et n'avait jamais connu ou  vu ne serait-ce qu'un mètre carré d'en haut, dans une rue, sous le soleil ou la pluie. Malheureusement ils étaient très nombreux dans ce cas et parfaitement ignorés des autorités de la ville, vivants eux à l'air libre, avec une inattention constamment remise aux oubliettes de cette cour des miracles moderne sous leurs pieds.

 

Amy, qui avait atteint son quinzième anniversaire, sans gâteau ni bougies, était anorexique et ne pesait, à vue d'œil, qu'une vingtaine de kilogrammes. Le bruit  assourdissant qui arrivait par moments et semblait durer longtemps suivi de longues périodes de silence sans plus la moindre luminosité avait aiguisé sa curiosité. Elle ressentait en elle la certitude qu'il y avait une autre vie que celle de ses parents et la sienne, là-haut, loin de cette misère sous le bitume des rues et avenues, dans un monde encore inconnu. Il fallait qu'elle sache. Il fallait qu'elle puisse atteindre la surface. Il fallait qu'elle découvre l'autre monde dont lui avaient parlé ses parents en pleurant. Regrets d'un côté, obsession de savoir de l'autre! Un jour elle monterait par ces marches en fer, scellées à quarante centimètres, l'une de l'autre, dans ce mur vertigineux à la recherche de la sortie de ce tunnel vertical.

 

Elle était à peu près à mi-chemin de son ascension lorsqu'elle  faillit tomber. Les forces d'Amy la trahissaient. Elle avait mal aux bras, aux jambes, faim aussi, son corps menu n'avait jamais dû livrer un exercice physique semblable. Très courageuse, elle fit une petite halte sans regarder derrière elle et surtout pas vers le bas. "Mon but est là haut, il faut que j'y arrive !" pensa-t-elle en redoublant d'efforts. Et Amy arriva tout près de la sortie  bloquée par une lourde grille d'acier. Elle s'y agrippa de ses deux petites mains sales et cria aussi fort que possible.

 

Elle s'égosillait et perdait courage, si près du but... quand enfin elle sentit qu'on lui prenait les mains comme pour soulager ses forces sur le point de l'abandonner. "Mais qui donc t'a enfermée dans les égouts ? Tiens bon nous allons te sortir de là!"  La voix était chaleureuse et il semblait à Amy que c'était une femme qui lui parlait, l'encourageait et la tenait fermement par les poignets. Puis tout alla très vite. La sirène hurlante s'arrêta mais une lumière  bleue continuait à balayer la scène par intermittence. Grille légèrement soulevée, corde enroulée à hauteur de sa taille, encouragements de toutes sortes, des mains partout sur son petit corps, des exclamations du genre "Mais qu'elle est sale, mais qu'elle est maigre, pauvre gamine, etc." Et puis le néant de l'épuisement total ...

 

Amy se réveilla d'un lourd sommeil, quarante huit heures plus tard. En ouvrant les yeux, elle fut éblouie par une source lumineuse et les referma de suite. Puis elle tâta sa couche, douce et sentant bon. Mais impossible de remuer son bras gauche relié par une aiguille et un long tuyau transparent au goulot d'un flacon, transparent lui aussi, suspendu à un crochet au dessus de son lit. Un lit? Je ne connais pas, se dit-elle tout en écoutant des explications concernant des objets qu'elle découvrait pour la première fois. La voix était douce, chaleureuse. Amy pensa que c'était la même qu'elle avait entendue lorsqu'elle était encore accrochée à la grille, mais toujours du mauvais côté, au dessus de l'enfer et sous ce qu'elle pensait être le paradis!

 

Lentement, très doucement Amy rouvrit les yeux. La lumière n'était plus qu'un halo apaisant.  La vieille dame se penchait sur elle, continuant à lui parler de son sauvetage, pompiers et policiers, ambulance, hôpital, examens par des médecins et infirmières,  mise sous sérum nourrissant, pour enfin se retrouver dans cette chambre confortable. Amy n'y comprenait pas grand'chose et tenta de se remémorer ce que ses parents  lui  avaient dit concernant leur vie d'avant en surface.

 

La vieille dame expliqua à Amy qu'à l'arrivée à l'hôpital, après être passée entre les mains d'un médecin, le personnel de service l'avait lavée de la tête aux pieds, shampooing parfumé, savon à l'huile d'olive odorante, séchée et coiffée et emmitouflée dans une sortie de bain douillette avant de la coucher. Amy se palpa un peu et en tâtant sentit qu'elle avait une peau beaucoup plus douce qu'avant. Elle sentait bon. Elle vivait un rêve et se laissa aller dans une agréable somnolence. Amy pensa aussi à ses parents, les sous-sols immondes, les voleurs et les assassins, les fous, les vieux qui mouraient sans aucune aide en râlant, les rats... et se rendormit. La vieille dame souriait et resta avec elle jusqu'à l'heure du repas. Là encore, tout était nouveau pour Amy: assiettes, bols, verre, un repas comme elle n'aurait pas pu imaginer et de l'eau fraîche et transparente, délicieuse, sans détritus indéfinis ni poils de rats, ni mouches mortes...

 

Amy est restée plus d'un mois dans son lit douillet qu'elle avait du mal à quitter, le changement avait été trop brutal avec les conditions de vie sous terre. Elle avait suivi un régime alimentaire spécial pour reprendre des forces et grossir un peu. Un jour un médecin lui demanda qui et où étaient ses parents? Elle mentit par honte et de peur disant qu'elle n'en avait pas, tout en pensant, qu'elle irait les chercher bientôt. Comment? Elle verrait cela plus tard. Vint ensuite la question qui allait payer son séjour? Amy ne savait même pas ce que cela voulait dire, payer ? c'est quoi ?  Elle s'en ouvrit à la vieille dame qui lui fit  comprendre de pas s'inquiéter, elle allait régler tout cela en un clin d'œil!

 

 La veille dame vint la voir tous les jours le matin et l'après-midi et gâtait la jeune fille par des cadeaux quotidiens, une jolie robe fleurie, des jeans de marque, des tee-shirts décorés et des dessous en fine dentelle de couleur pâle. Amy s'extasiait à chaque fois, jamais elle n'avait vu ni imaginé que cela faisait partie de la vie "d'en haut".

 

Le jour de son départ de l'hôpital elle rangea ses affaires dans un beau sac offert par son ange gardien, la vieille dame qui lui avait aussi appris à lire et à écrire en peu de temps en lui caressant le front, comme pas miracle. Devant la grande porte de l'hôpital elle vit la vieille dame qui lui faisait signe de la main par la vitre arrière d'une très grande limousine. Un monsieur à casquette vint lui prendre son sac pour le mettre dans le coffre de la voiture - voiture? encore une nouvelle découverte et invita la jeune fille à s'installer auprès de sa patronne lui tenant la portière ouverte. Puis le véhicule se mit à avancer, encore une autre surprise pour Amy qui finalement trouva ce déplacement très agréable.

 

La dame, "sa dame", d'un simple geste fit s'ouvrir la lourde grille qui se referma automatiquement après leur passage. La voiture roulait maintenant dans un long chemin boisé et arriva peu de temps après devant une grande maison où valets et servantes les attendaient en bas du perron. Le chauffeur à casquette vint ouvrir la porte du véhicule et pria la vieille dame et Amy de descendre. Une jeune femme à tablier blanc, au beau sourire, avait pris le sac de la jeune fille et pria Amy de la suivre. "Va avec Elsa, elle va te conduire à ta chambre et sera à ta disposition vingt-quatre heures par jour; nous nous reverrons à l'heure du dîner!"  lui dit la vieille dame avant de disparaître derrière une porte de bois sculptée.

 

La chambre était somptueuse, jamais Amy n'aurait imaginé une pièce comme celle-ci et encore moins qu'elle était à sa disposition, à elle toute seule! La salle de bains n'avait rien à envier à la chambre et elle demanda timidement si elle pouvait prendre un bain. Elsa fit couler l'eau chaude, aida la jeune fille à se déshabiller et poussa sa bonté jusqu'à lui frotter le dos avec des onguents aux senteurs exotiques. Amy était aux anges! Dans son armoire elle trouva un trousseau complet, une douzaine de robes les unes plus jolies que les autres et tout ce dont une jeune fille de son âge pouvait rêver y compris une boîte à bijoux bien garnie. Sa servante lui conseilla quoi  porter pour le repas du soir. Amy était ravissante et n'arrêtait pas de tourner sur elle même devant le grand miroir de sa chambre.

 

"Toc, toc, toc! Puis-je entrer" demanda la vieille dame, elle aussi vêtue pour le dîner. "Ah! comme tu es belle et comme tu sens bon" s'exclama-t-elle  et en se retournant: "Cela manque de fleurs ici!" Un geste et plusieurs vases joliment garnis de fleurs toutes fraîches firent leur apparition. "Holà, mais je me suis trahie" dit-elle regardant Amy qui n'en croyait pas ses yeux! "Et oui ma chérie, je suis en réalité une vieille fée toujours bienfaisante. Je suis surtout contente de t'avoir entendue crier et d'avoir maintenant le bonheur de te faire une belle vie qui te manquait tant dans les sous-sols de la ville." Amy se jeta dans les bras de "sa" fée qui l'étreignit très fort, avec tout son amour. Elle lui promit aussi de garder ce secret pour elle car elle était curieuse d'en apprendre plus comme la vieille dame lui avait promis au cours d'une longue et passionnante conversation entre elles deux après dîner.

 

Quelques jours plus tard Amy, assise sur le perron de la maison, en train de lire "Comment devenir une fée bienfaisante", vit ses parents descendre de la voiture, bien habillés tous deux et sa maman joliment coiffée. Elle courut se jeter dans leurs bras alors que la vieille fée lui expliqua qu'elle avait été les chercher là-bas, en bas, qu'ils avaient passé un mois à l'hôpital à se réhabituer à la surface et à se faire soigner. Amy garda sa chambre dans la grande maison et ses parents furent logés dans une jolie maison des dépendances de la propriété. Ils avaient aussi une jeune femme pour les aider et combler tous leurs besoins et satisfaire d'autres désirs.

 

La vie d'Amy et ses parents était belle, tous trois ne manquaient de rien. La jeune fille suivit des cours d'un professeur privé, ses parents allaient se rendre utiles par-ci par-là, heureux de revoir le soleil et aussi la pluie. Le soir, "sa" vieille dame et fée, rejoignait Amy dans un petit bureau secret et lui transmettait tout ce qu'elle devait savoir afin de devenir une bonne fée bienfaisante. Ces connaissances, bien entendu, Amy devait les protéger et pourrait,  bien plus tard, les transmettre à une de ses filles lorsqu'elle serait maman à son tour.

 

Mais  trouver le prince charmant et avoir beaucoup d'enfants qui ne connaitraient jamais ce qu'elle avait vécu, tout ceci est une autre histoire!

 

 

 

 

QUITTER LES MAUVAIS LIEUX

POUR S'ELEVER ET TROUVER MIEUX,

IL FAUT LE FAIRE AVANT D'ÊTRE VIEUX.

 

 

 

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, en confinement pour le Coronavirus, Avril 2020.

© Stéphane Bertrand / Mai 2020.

17 juin 2021

LE DRAGON A SEPT TÊTES.

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

 

 

N° L 23

 

 

LE DRAGON A SEPT TÊTES.

 

Les  chevaliers étaient nombreux, armés jusqu'aux dents et montaient des chevaux fougueux.  Leur rassemblement était prévu ce jour là, dans un grand champ devant le pont-levis , encore levé, du château de leur seigneur, le roi.

 

C'était il y a fort longtemps et le jour où cela se passait était tellement éloigné de nous qu'il était impossible de le situer avec précision tant de siècles s'étant écoulés avant que cette légende nous parvienne murmurée par le vent. Et puis, il faut le dire, cela se déroulait dans un royaume au nom inconnu car celui-ci s'était envolé de toutes les mémoires des témoins éventuels.

 

Tous ces vaillants chevaliers avaient répondu à l'appel du roi. Certains d'entre eux arrivaient des provinces les plus éloignées du royaume. Malgré un long voyage semé d'obstacles de toutes sortes - rivières en crue à traverser, montagnes enneigées à franchir, groupes de bandits à supprimer, animaux monstrueux à combattre, faim et soif à oublier - ils étaient tous là dans leur armure qui brillait au soleil levant, leurs étendards flottants dans la bise fraîche du matin.

 

Enfin le pont-levis s'abaissa et sa majesté le roi apparut entouré de sa cour. A son côté  sa seule fille, resplendissante, assise en amazone sur un alezan de toute beauté, à crinière blonde. Le roi ne tarda pas à prendre la parole:

"Nous nous adressons à vous vaillante et jeune relève de notre pays afin que notre royaume puisse perdurer éternellement sur cette terre et que ses habitants puissent y vivre en paix et sécurité. Or ce n'est pas le cas à cette heure car l'énorme dragon à sept têtes continue à chercher son repas quotidien parmi notre peuple. Il faut que cela cesse! Aussi ai-je décidé, étant déjà âgé, que le premier jeune homme qui déposera les sept têtes devant l'entrée du château prendra ma place, je le ferai roi, et il recevra ma fille pour épouse! J'ai dit. Allez maintenant, trouvez ce maudit dragon, combattez-le et coupez lui non pas la... mais toutes les têtes pour me les rapporter."

 

C'est sous les hourras, les vive le roi, vive la princesse, et autres cris de joie que le roi rentra au château avec sa fille suivi de sa cour. Par sécurité pour le souverain, le pont-levis fut  aussitôt relevé. Les crocodiles affamés qui peuplaient les douves restaient sur leur faim, personne n'avait fait de faux pas sur le bord. Les jeunes chevaliers partirent au galop, qui vers l'est, qui vers l'ouest sans parler de ceux qui se dirigèrent au sud ou vers le nord. Les badauds et gens du peuple se dispersèrent dans le calme pour vaquer à leurs tâches de tous les jours.

 

Parmi eux se trouvait un jeune homme à l'allure fière mais point de noble naissance. Il avait écouté avec attention son roi et était tombé immédiatement amoureux de la princesse. Il s'appelait Charles-André du Chemin vert, l'endroit où deux pauvres paysans l'avaient découvert nouveau-né, ramené à la ferme et nourri au bon lait de leurs trois vaches. Ses muscles avaient forci et grandi par les travaux  nombreux à faire tous les jours et à fendre les énormes bûches pour se chauffer l'hiver et cuire la soupe quotidienne. Une fois de retour à la maison il se mit à affûter ses deux haches, demanda quelque nourriture pour emplir sa besace et fit ses adieux à ses parents adoptifs en pleurs. Puis il s'éloigna d'un bon pas bien assuré.

 

Les chevaliers quant à eux, baronnets, vicomtes ou ducs, tous rejetons de nobles parents qui formaient la cour du souverain, étaient partis bride abattue dans toutes les directions du royaume, certains de trouver la grotte du dragon et sortir vainqueur du combat qu'ils devaient livrer. Charles-André lui, avait pris le chemin du village où le dragon avait frappé récemment. La route fut longue et les nuits fraîches pour la saison. Lorsqu'il arriva au village les gens pleuraient toujours la disparue, une belle jeune fille toute mince et tous étaient dans l'attente du monstre qui devrait avoir faim à nouveau dans peu de temps. Charles-André se laissa conter dans les détails la venue de l'ogre et quand les villageois se barricadèrent pour la nuit, il commença sa veille.

 

Le dragon, crachant flammes et fumées, revint en effet dans la nuit et n'ayant trouvé que des maisons bien closes s'en retourna non sans avoir croqué sept brebis dans un champ. Le garçon le suivit de loin pour l'observer afin de trouver son refuge. Une grande grotte à mi-hauteur de la montagne dans laquelle   l'animal s'était caché pour digérer et dormir. Charles-André s'en approcha doucement et vit qu'un des cous portant une des sept têtes dépassait de la grotte, probablement celle qui était de garde ce soir-là. En quelques pas il s'en approcha et d'un grand et fort coup de hache bien aiguisée coupa  la première tête. Il se recula vivement et se colla contre la roche craignant la fureur du dragon. Mais à sa grande surprise rien ne se passa. La tête de garde n'étant plus dans la possibilité de signaler un danger le dragon, désormais à six têtes, ne se réveilla pas. Charles-André, toujours en silence, partit bien vite et alla dormir quelques heures dans une grange du village tout en se promettant de revenir le lendemain soir.

 

Il raconta sa nuit au chef du village qui lui promit de laisser du bétail en liberté pour que la bête monstrueuse puisse se nourrir tout en pensant : " Une de partie, il en reste toujours six!" Sa confiance en Charles-André était tout relative et il ne pensait  pas le revoir de sitôt. Mais c'était bien mal connaître ce vaillant et courageux garçon.

 

Charles-André surveilla de près  les allées et venues du dragon qui jour après jour mangeait de moins en moins, se montrant  chaque  jour à la tombée de la nuit avec une tête en moins.

Quant il n'en resta plus qu'une, le jeune homme redoubla de précautions et se dit que ce soir le royaume serait enfin délivré du maudit dragon!

 

Comme par les six jours passés, il prit le chemin de la grotte, suivant de loin ce dragon à sept cous mais avec une seule tête. Il approcha doucement de la grotte, vit la tête, la seule restante, de garde  les yeux fermés. Lorsqu'il s'apprêta à frapper il n'eut pas le temps de s'apercevoir que celle-ci avait déjà été tranchée la veille et celle qui restait se mit à cracher du feu en sa direction. Il s'en suivit un combat homérique et un éventuel observateur présent aurait eu du mal à départager le futur vainqueur du perdant. L'atmosphère devenait de plus en plus fumante, sentait les cendres et la chair brulée mais aucun des deux combattants n'abandonna son poste. C'est à cause du manque de flammes que le dragon dut recharger que l'occasion se présenta à Charles-André. Le dragon, en effet, sa dernière tête coincée dans le foyer au fin fond de la grotte,   ne vit pas arriver la hache qui lui asséna le coup fatal.

 

Charles-André, bien que blessé et saignant, était le vainqueur et bientôt aurait une belle vie avec la princesse. En attendant il fallait récupérer la tête qui se consumait et la rendre présentable pareille aux six autres. Le garçon de retour au village se fit soigner et ce n'est pas les jeunes filles volontaires qui manquaient! Une bonne nuit de sommeil après un dîner bien arrosé d'un bon petit vin blanc sec le remit vite sur pied. Les villageois, reconnaissants, avaient chargé les sept têtes du dragon dans une charrette tirée par deux beaux et lourds chevaux de trait.

 

En chemin vers le château royal Charles-André ne rencontra que quelques rares chevaliers au grand galop toujours à la recherche de la grotte du dragon. Si l'un d'entre eux devait la trouver par hasard, quelle déception alors! Il déposa les sept têtes de la bête monstrueuse devant le pont-levis  et cria très fort afin qu'un garde lui prête attention. La rumeur de son arrivée avait vite fait le tour des villages alentours. Tous les habitants arrivaient en courant pour féliciter Charles-André, certains d'entre eux effrayés à la vue des sept têtes du dragon se reculèrent par simple prudence. Le jeune homme savourait ces instants et pensa à ceux qui allaient suivre avec l'arrivée de Sa Majesté et de sa promise.

 

Les chevaliers furieux d'avoir manqué à leur serment de revenir vainqueur de la bête hideuse faisaient une sale tête en pensant à tout ce qui leur échapperait dans un court instant. Certains d'entre eux tentèrent de marchander afin de se faire passer pour Charles-André contre une bourse de pièces d'or bien dodue. Bien sûr il refusa toutes ces offres et n'attendait qu'une seule chose que le pont-levis s'abaisse.

 

Enfin trompettes et hautbois sonnèrent et le roi suivi de sa cour et sa fille à ses côtés fit son apparition. "Peuple, vous qui avez été témoin, lequel de ces vaillants chevaliers, est votre futur roi?" Et tous se mirent à clamer le nom de Charles-André et le portèrent en triomphe jusqu'aux pieds du souverain.  Il  s'agenouilla devant son maître, inclina sa tête tout en gardant un œil sur la princesse.

 

"Lève toi jeune homme, bien que point d'une noble naissance, je n'ai qu'une parole. Voici ta future femme et ton futur royaume. Tu porteras le nom de Carolus-Andréas I° et tu régneras aussi longtemps que Dieu te prêtera vie. Gardes, sellez un cheval pour votre nouveau roi et vous, chevaliers malchanceux prêtez lui allégeance  immédiatement sous peine de perdre votre tête, vous et votre famille toute entière! Nous avons dit ceci et que notre ordre soit consigné dans les registres royaux!" Ce jour-là les crocodiles de garde firent un bon repas avec les sept grandes têtes du monstre!

 

Ainsi fut fait! Les noces grandioses durèrent sept jours, sept jours très longs pour Charles-André avant d'avoir le droit d'embrasser enfin son épouse. Ils vécurent heureux longtemps, donnèrent de nombreuses princesses et autant de princes à leur pays afin que la lignée royale ne s'efface et que leur histoire, leur légende, survive jusqu'à nos jours.

 

 

 

 

HOMME DE PEU

OU MEME GUEUX,

SI TU LE VEUX,

TU LE PEUX.

 

 

 

Le Colvert, Baudienville,  Mars - Avril 2020.

© Stéphane Bertrand / Mai 2020.

23 mai 2021

LE JEUNE SOLDAT.

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 22

 

 

LE JEUNE SOLDAT

OU LE TROISIEME OEIL.

 

 

 

Aujourd'hui  IL  allait devenir soldat! Point qu'il l'ait voulu mais parce que les gendarmes étaient venus le chercher ce matin à l'aube, la traite des vaches  à peine terminée. Les brumes de la nuit n'avaient pas encore eu le temps de s'évaporer aux tout premiers rayons pâles du soleil levant et recouvraient toujours les champs et la cour de la ferme d'une épaisse couette cotonneuse et douillette, irréelle. Par endroits, le sommet taillé en pyramide d'un poteau en bois fixant le grillage de la clôture, dépassait de cet amas d'humidité comme pour être le premier à se faire caresser par les rayons de l'astre entamant son ascension.

 

Maintenant IL était presque soldat! Les hommes de la maréchaussée  l'avaient emmené sans douceur ni un mot à ses parents qui n'en croyaient pas leurs yeux de voir leur fils unique malmené de la sorte. Ils l'avaient forcé, la main sur sa tête, à entrer dans leur véhicule bleu. IL n'avait même pas eu un moment pour leur dire adieu ni pour  caresser son chien qui aboyait à rompre sa chaîne.

 

Puis IL était devenu soldat! Après une douche froide on lui avait apporté des vêtements couleur gris-vert taillés dans un tissus épais et rugueux dont les démangeaisons provoquées sur sa peau ne cessaient pas. Puis c'était un convoi en camions militaires verts avant de se retrouver assis dans un wagon à bestiaux encore paillé d'un train à la destination inconnue. Seule l'odeur  ne le dérangeait pas.

 

De grosses vagues faisaient rouler violemment le grand navire de bâbord à tribord  et les coursives se trouvaient encombrées de jeunes gens comme IL, couchés à même le sol vomissant tripes et boyaux suivant l'expression consacrée. Là, l'odeur devenait dérangeante et le sol glissant! IL ne supportait pas cet état de chose pas plus que ses compagnons et, à même des tapis du couloir, se laissa aller à une crise dépressive souillé par  les rejets de son estomac.

 

Quant IL se réveilla de son demi sommeil turbulent, les portes et murs ne tournaient plus dans sa tête et tout semblait être revenu au calme et à une navigation plus stable du bateau. IL se releva péniblement et tenta de fuir le spectacle apocalyptique  de son environnement immédiat pour essayer de trouver une porte donnant sur l'extérieur.  Une fois à l'air libre, IL se retrouva sur un des ponts, sous un grand soleil, un magnifique ciel bleu vierge de tout nuage et une mer calme comme fatiguée de ses exploits nocturnes. IL respira à pleins poumons comme lors de ses sorties dans les champs en été pour ramener le troupeau à l'étable pour la traite.

 

IL et les autres débarquèrent au port d'une ville blanche construite  à flanc de montagne surplombant l'océan.  L'odeur ambiante envoyait des effluves d'épices inconnues jusqu'à ses narines. Sur le quai stationnait une file très longue de camions couleur sable de transport de troupes.

 

IL s'assit sur la banquette à la place qu'on lui désigna, se cala contre le dossier fait de deux planches rugueuses et ferma les yeux sur son malheur. La nostalgie de sa ferme familiale se faisait déjà sentir. Mais quelque chose d'intime lui dicta de ne rien laisser paraître de sa tristesse. IL devait réagir en homme  malgré ses dix-huit ans à peine dépassés d'une semaine. Son cerveau était empli de pensées variées quant à la destination finale de ce voyage quand soudain IL entendit un murmure près de son oreille. IL ouvrit les yeux mais ne vit rien. Et cette petite voix lui disait : "Ne t'inquiète pas, fais ce que l'on te dira et tout ira bien car moi, elfe protecteur envoyé par ton ange gardien, je suis là pour veiller sur toi. En cas de danger j'interviendrai et quand tu entendras ma petite voix fais aussi vite que possible ce que je te dirai. A plus !" IL referma  ses yeux et se laissa bercer par le ron-ron du moteur  du camion et ne prêta  plus attention aux cahots de la route. Il faisait chaud, très chaud sous la bâche du GMC* rescapé de la dernière grande guerre. La boussole indiquait qu'ils roulaient direction sud.

 

La soif commençait  à lui dessécher la bouche, ses lèvres ne faisaient plus qu'un avec ses dents, palais et gorge étaient douloureux. Alors comme par miracle IL se retrouva avec un verre d'eau fraîche à la main! Les autres, jaloux, se moquaient: "Ah ben ! Tu voyages bien équipé!" IL leur passa son verre après avoir bu une large rasade et celui-ci se remplissait au fur et à mesure qu'il changeait de mains. "Un miracle" s'écrièrent ses compagnons! "Ce n'est rien, seulement un petit tour que j'avais appris plus jeune!" IL répétait les paroles que lui soufflait à l'oreille son elfe protecteur. Et le voyage se poursuivit alors dans une humeur plutôt joyeuse. 

 

Les premiers tirs prenant pour cible le convoi débutèrent à quelques kilomètres après la sortie des fortifications. N'ayant pas encore été dotés de leurs armes individuelles, IL et ses compagnons n'avaient rien d'autre à faire que de se coucher à plat ventre sur le plancher de leur véhicule. Leur escorte riposta avec la mitrailleuse montée sur une jeep et d'autres armes, ce qui mit en fuite les assaillants. L'elfe garde du corps d'IL avait eu fort à faire pour dévier les balles qui avaient touché leur camion et déchiré par rafales la bâche protectrice du soleil de leur GMC.

 

Le convoi reprit la route pour bientôt s'arrêter dans un petit village où flottait mollement un drapeau national, signe qu'il était sans danger pour les voyageurs. Répartis dans des maisons blanchies à la chaux tous les garçons devaient se débrouiller pour trouver de quoi se coucher le soir, qui sur un lit de camp bancal, qui sur des balles de paille ou dans une mauvaise couverture rapiécée sentant la sueur et les pieds. L'elfe d'IL avait trouvé un coin bien caché qui lui convenait parfaitement. Une distribution d'eau avait eu lieu ainsi que quelques baguettes de pain sec. En douce, l'elfe transforma ce vieux morceau de pain en un succulent sandwich au pâté de campagne et son eau en vin blanc sec et bien frais. IL s'endormit rapidement. Dans la dernière parole entendue avant de sombrer dans un sommeil réparateur, il était question d'une odeur de pâté et de saucisson!

 

Le voyage à travers le désert dura trois jours entiers dont la plus grande partie des heures était consacrée à rouler sur une piste du genre "tôle ondulée" et les nuits à se protéger des scorpions  jaunes, pas très grands mais à la piqûre  mortelle. L'elfe, garde du corps, remplit très bien son rôle auprès d'IL mais aussi auprès de ses camarades par pure bonté d'âme. La nuit la température descendait jusqu'à seulement une dizaine de degrés et remontait rapidement avec le soleil levant pour se fixer à près de quarante degrés en fin de matinée. IL pensa à sa Normandie, son herbe verte et sa pluie malgré l'eau fraîche que lui fournissait son protecteur.

 

Une fois arrivé à destination, un petit village fortifié au bord d'une palmeraie immense, le tout entouré de sable doré, de dunes qui changeaient d'aspect et de lieu au gré du vent chaud, des surfaces sans fin d'un reg caillouteux, de troupeaux de dromadaires qui "paissaient" là où rien ne poussait. IL reçut ses armes personnelles, revolver et mitraillette, les cartouches allant avec, et fut désigné chef de chambrée d'un bâtiment en torchis peint en blanc à la chaux. Nuits de garde en haut d'un mirador - et toujours de l'eau fraîche grâce à son elfe - patrouilles dans le désert à pieds ou bringuebalé  à dos de son "vaisseau du désert",  ruminant en permanence, se succédaient régulièrement.

 

Un soir son elfe vint lui parler à l'oreille: "Attention, demain cela va barder! l'ennemi  va vous attaquer, sois prudent!" Le bruit du clairon appelant au réveil et aux armes simultanément fut rapidement couvert par le tac-tac-tac d'un mitrailleuse et celui des grenades offensives. Cela sentait la poudre et il régnait un désordre général entre les ordres, les contre-ordres et les hommes qui paraissaient courir dans toutes les directions, tout cela accompagné du claquement sec des explosions et de nombreux cris et jurons.

 

IL était accroupi à côté d'une fenêtre exposée face à la clôture extérieure de fils de fer barbelés où les assaillants tentaient de  se frayer un passage. IL tira par courtes rafales dans cette direction et avait déjà vidé deux chargeurs. Au bout d'un temps qui lui semblait avoir duré une éternité les tirs s'espacèrent un peu et son elfe fit tomber à ses pieds les balles et éclats de grenades qu'il avait réussi à détourner. Un silence angoissant enveloppa tout le petit fortin, personne n'osait plus parler ni faire un mouvement. Le bruit de quelques tirs sporadiques  s'éloignait. Certains des camarades d'IL commencèrent à bouger, sauf les blessés et les morts. "Attention aux snipers!"** criait  une voix forte habituée au commandement. IL risqua un œil en se soulevant légèrement au dessus du rebord inférieur de l'ouverture.  "Clac" un coup de feu et la balle qui lui était destinée et malgré tous les pouvoirs de son elfe, qui par terre, comptait les cartouches vides dans un moment d'inattention quant à sa mission, l'atteignit en plein front.

 

Sans un cri IL s'écroula sur le sol. Un gradé passant près de lui, lança: " Pauvre jeune gars! Encore un qui sera rapatrié chez lui avec un troisième œil !"  Cette exclamation est-elle venue tout simplement à l'esprit du capitaine ou connaissait-il parfaitement la vie de saint Hilarion ? Qui sait ?

 

°°°°°°°°°°

 

 

La balle a perforé le cerveau,

Sur son cercueil enveloppé d'un drapeau,

Une médaille épinglée pour un départ en héros.

Et  l'oubli suivra bientôt.

 

 

°°°°°°°°°°

 

 

 

 

 

* G.M.C. (General Motors Corporation) Camions de transport de troupes ou de matériel, arrivés avec les soldats américains en France en 1944.  

 

** Sniper est une expression anglaise et désigne un tireur d'élite solitaire qui rate rarement sa cible.   

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, mars 2020.

© Stéphane Bertrand / Mai 2020

25 avril 2021

LES DEUX LUTINS.

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 21

 

 

LES DEUX LUTINS.

 

 

Il y a des millions d'années, avant que la terre ne devienne plate alors qu'elle était encore ovale comme un ballon de rugby avant de revenir à sa forme ronde, un couple de lutins, jeunes et encore innocents des choses de la vie, en visitant l'installation centrale de la régie de la terre avait, "pour s'amuser", enfoncé le bouton  "Stop" de l'attraction terrestre. Une seconde d'inattention du guide qui allait lui coûter cher, et pas seulement à lui... Et bouleverser le monde!

 

En quelques minutes tout ce qui dépassait de la croûte de la planète, à moins d'être profondément enterré, disparut de sa surface. Les humains et les animaux furent les premières victimes et s'élevèrent vers le ciel dans une immense spirale aspirante pour être rejetés, éparpillés par-ci par-là, dans l'univers sans fin et sans vie. Les habitations éphémères des hommes nomades d'alors suivirent assez rapidement, puis vinrent  toutes les  plantations récentes. Les arbres centenaires furent les derniers à s'élever dignement vers une destination inconnue.

 

C'est à ce moment-là que se présenta la dernière chance de survie pour notre couple de lutins qui lâchèrent un des grands sapins qui vacillait encore sur sa "rampe de lancement" avant de disparaître. Agiles et rapides ils se glissèrent dans le tunnel laissé par une grosse racine, rebouchèrent avec d'infinies précautions le trou, se tenant l'un l'autre à tour de rôle et se retrouvèrent  seuls et dans le noir, dans un immense labyrinthe de galeries souterraines.

 

L'obscurité qui les enveloppait aidée par l'énorme frayeur qu'ils avaient vécue fit que, pelotonnés l'un contre l'autre, ils s'endormirent très vite sans mesurer la chance qu'ils avaient de ne pas être, à ce moment précis, en train de pénétrer dans les abysses de l'infini, sans aucune chance de retour.

 

Bien plus tard ils se réveillèrent reposés et affamés. Une petite lueur semblait filtrer à travers les mottes de terre qui obstruaient la galerie de l'interieur dans laquelle ils se trouvaient. Puis ces amas de terre se mirent à bouger et bientôt ils purent entrevoir les pinces d'un gros scarabée noir venant en leur direction. Ils eurent à nouveau très peur et se mirent à trembler et à pleurer. Et si cette bête vivante dans les entrailles de la terre les prenait pour une proie bonne à déguster ?

 

"N'ayez pas peur, les petits," dit le gros monstre, " je ne vous veux aucun mal, bien au contraire! Je ne suis que l'avant garde, chargé de déblayer la route du cortège de la bonne "Fée des Ombres" et d'éclairer sa route."  A peine ces paroles prononcées, des lampadaires firent leur apparition tous les cinq mètres en transformant cette galerie sombre en avenue bien illuminée. Les deux lutins se tenaient par la main admirant cette prouesse magique mais leur estomac se fit bruyant tant leur besoin de manger était grand. Avec une de ses pinces le scarabée, qui avait parfaitement compris ces messages de gargouillis et borborygmes, dégagea une partie de la paroi pour faire apparaître une jolie auberge. Devant la porte une stagiaire-fée leur fit signe d'entrer et les conduisit à une table richement garnie des mets les plus délicats et délicieux à la fois.

 

"Mangeons pour nous donner des forces," dit le jeune lutin à sa compagne, "Nous verrons plus tard ce qui nous arrivera !" Et tous deux se mirent à table, salivant des papilles après avoir commencé à dévorer les plats avec leurs yeux.

 

Puis la "Fée des Ombres" fit son entrée dans le restaurant et s'assit, en toute simplicité, à leur table. Elle interrogea les lutins : "Mais comment avez vous fait pour échapper à la terrible catastrophe qui s'est produite à la surface ?

 

Alors ils racontèrent à la fée leur chance d'avoir pu s'accrocher à une petite racine avant que l'arbre ne soit emporté vers le ciel, le néant, et comment ils avaient survécu à l'éboulement laissé par une racine plus grosse. Ils conclurent: "Et nous voici après avoir rencontré votre scarabée!" Mais pas un mot de leur bêtise!

 

La fée, qui n'était pas dupe et avait le sens de la double vue, sourit et très gentiment leur rappella leur faute de jeunesse, leur imprudence due à leur jeune âge.  " Mais pour nous qui vivons sous la terre ce n'est pas bien grave, au contraire. Nous n'aurons plus peur de l'humain qui retourne, bêche sa terre en ignorant tout ce qui se passe en dessous et démolit par son geste parfois une ville entière construite par le peuple de l'ombre. Nous n'aurons plus à fuir les coups de pelle, leurs sondages souterrains pour savoir ce qui se passe sous leurs pieds et la pose de gros tuyaux mal venus surtout à cause de leur odeur nauséabonde; pas plus des  trous faits par des piquets de clôture qui arrivent parfois sans crier gare au milieu de nos habitations tuant des milliers d'œufs  ou de larves prématurées dans les maternités de nos hôpitaux. C'est, finalement très bien ce que vous avez fait, et comme il nous fallait un couple régnant, nous allons vous préparer à votre future tâche tout en sachant que vous êtes maintenant devenus nos bienfaiteurs. Merci !"

 

Le monde du silence souterrain s'était réuni en congrès. Il y avait là tous ceux qui se déplaçaient, les immobiles vivant à l'extrémité d'une racine  comme un nouveau-né s'accroche à son biberon, les invisibles ayant pris forme aux yeux des participants, les plus gros et les infiniment petits, à carapace ou nu et même ceux qui s'enterraient quand il faisait trop froid là-haut et avaient prolongé leur séjour. Désormais il leur faudra adopter une vie souterraine. Parmi les plus heureux, les truffes, ces champignons au goût prononcé, qui pourront se développer à l'aise loin des chiens ou porcs renifleurs et les vers de terre n'ayant plus à redouter une patte de poulet pour les déterrer ni un pêcheur qui leur promettait une fin de vie désagréable accroché à un hameçon à se tortiller de douleur avant de finir dans le ventre d'un poisson glouton.

 

C'est sous des applaudissements nourris lors d'une "standing ovation*" que nos deux lutins furent élus reine et roi du monde le plus discret, le plus caché, à la fois près et loin de la surface de la terre qui maintenant, ayant perdu son pouvoir de retenir à sa surface qui et quoi que ce soit, virevoltait sans retenue, au fond infini de l'univers et du cosmos. Au risque, dans sa danse folle, de heurter une autre planète et de produire encore un "Big Bang!"**

 

 

 

 

LES GRANDS HEURTS SOUVENT SONT DOULOUREUX,

MAIS APPORTENT PARFOIS AUSSI DES EVENEMENTS HEUREUX.

ILS CHANGENT LE MONDE ET FONT DES PEUREUX

MEME SI LE BOULVERSEMENT N'EST FAIT QUE DE PEU !

 

 

°°°°°°°°°°

 

 

 

 

* "Standing ovation", (langue anglaise), c'est le moment où, à la fin d'un spectacle, les spectateurs se lèvent pour applaudir debout les artistes sur scène.

 

 

** "Big Bang", (anglais aussi),  c'est une théorie "savante" qui tente d'expliquer que tout l'univers est apparu après un grand choc cosmique il y a plus de 17 milliards d'années ! Pour plus d'infos, lisez ou relisez, "la relativité générale"  d'Albert Einstein!

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, janvier 2020.

© Stéphane Bertrand / Mai 2020.

 

 

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Les Contes du Colvert
  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité