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Les Contes du Colvert
1 octobre 2017

NEO, FILS DE TAL ET D'ANDER.

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

 

N°19NS

NEO, FILS DE TAL ET D'ANDER.

 

"Maman, maman, j'ai mal au bras! Le bébé dinosaure a encore voulu me mordre!"

"Viens ici  Néo et fais moi voir tes blessures. Et dis-moi tout de suite pourquoi il a  tenté de te faire du mal ? Lui si gentil d'habitude!"

"Il dormait alors j'ai  essayé de l'assommer avec ma massue comme papa fait quand il va chasser!"

"Néo écoute moi bien. Prendre exemple sur ton père  Ander, c'est très bien mais tu n'es pas encore en âge  de l'imiter. La chasse, pour nous nourrir et nous vêtir, est affaire de grandes personnes.  Le jeune brontofeusaure est bien trop gros et grand pour un petit bonhomme comme toi. S'attaquer à un animal qui va peser plus de trente tonnes dans quelques mois, quelle idée!" Tal, était une fois de plus, anéantie par les bêtises de son fils et admirative devant son courage naissant.

"Oui mais, en plus il a fait un crachat de feu qui m'a roussi les poils des jambes! Il est vilain."

"Et comment réagiras-tu quand tu seras plus grand et que quelqu'un voudra te donner un coup de bâton sur la tête ? Hein, dis moi! Il n'a fait que se défendre tout comme tu le feras dans quelque années  quand tu auras grandi, lorsque tu seras un jeune homme."

Néo alla se reposer un peu et Tal s'occupa du dîner qui devait être prêt  lors du retour d'Ander. Le jeune garçon se recroquevilla dans son coin de repos, aménagé dans la paroi de la grotte, garni de fourrures bien chaudes et décoré de peaux de serpents séchées et de toutes sortes de cornes et de dents pointues de divers animaux. Tal, quant à elle, surveillait la cuisson d'une cuisse  de Microraptor dont elle avait eu du mal à enlever toutes les écailles et les plumes. L'os central fera un beau jouet pour Néo à condition que Rotpar,  le gardien de leur grotte, ne le croque pas tout entier. C'était un Eoraptor qu'ils avaient recueilli  très jeune, élevé et nourri comme un chien de garde et dressé comme tel. Il prenait son boulot très au sérieux mais pour jouer, il n'y avait que Néo qui comptait.

Néo, comme tous les jours, aida sa maman à préparer la table. Une très belle table ronde dont le plateau était fait d'une tranche du tronc d'un baobab fossilisée et les pieds de  trois défenses d'auroch  d'une courbure artistique. Le garçon déposa des planchettes en bois en guise d'assiettes, les coquilles de Saint-Jacques pour boire et un silex aiguisé pour chacun. Comme dessert il y aurait des bâtonnets de viande de bison fumés trempés dans du miel sauvage, un régal!

La grotte à flanc de colline, qui leur servait de maison, était spacieuse. La grande pièce de l'entrée avec son foyer dont le feu noircissait les murs,  donnait sur une vallée verdoyante où le gibier était abondant. Plusieurs espèces s'y côtoyaient: des Centrosaurus à grand bouclier autour du cou, d'énormes Brachiosaurus végétariens, des bisons et des chevaux sauvages, proies favorites des Juravenators, féroces carnivores et, parmi encore beaucoup d'autres, de jolis dragons verts cracheurs de feu. Les Macrauchénias, quant à eux, étaient recherchés pour leur viande goûteuse. On y rencontrait aussi d'énormes serpents à deux têtes très voraces, des Godeludos bien gras à six pattes et au long cou, des Fermentors qui ne mangeaient que la viande avariée en compagnie des vautours et souvent, seules ou en couples, de belles  licornes. Ces dernières étaient la seule touche de douceur dans cet univers dur et sauvage.

Au fond de la grotte on trouvait d'autres pièces plus petites, les chambres et dans un recoin reculé et frais, le garde-manger où sur des bouts de bois entrecroisés reposaient les quartiers de viande fumés, des rhizomes et des tubercules. Dans une cuvette naturelle du rocher se trouvait une réserve d'eau laquelle était alimentée par les gouttes   qui s'écoulaient, depuis le plafond,  le long des racines nues  des plantes qui poussaient en surface, au-dessus de la grotte.

C'était l'heure du retour d'Ander, le papa de Néo. Il revenait d'une journée harassante de chasse au mammouth. L'animal, très gros et haut sur pattes s'était défendu courageusement malgré les coups de massue et de lances à pointe de silex coupant qu'il recevait de tous les côtés. Une fois à terre, Ander était grimpé sur cette "montagne" de viande, de poils et d'os et avait, d'un grand coup de gourdin, mis fin à ses souffrances en lui éclatant le crane. La cervelle encore chaude fut partagée entre les chasseurs et consommée sur place, geste rituel du vainqueur. Les défenses iront à la salle communale en décor.

"Papa!  Papa! Tu es de retour. Tu sais je n'ai pas fait trop de bêtises aujourd'hui. J'ai même aidé Maman!" Néo avait débité ces phrases sans respirer, d'une seule traite. Et comme à chaque retour de son père ne manquait pas la question traditionnelle: "Dis Papa, demain je serai assez grand pour t'accompagner à la chasse?"

"Non, pas encore. Il faut que tu manges bien et que tu fasses de la musculation chaque jour. On verra cela dans quelques années." Alors comme chaque soir, Néo alla dans un coin de la grotte pour bouder un peu et dessiner sur les murs. Là où la fumée de l'âtre avait noirci les parois, Néo, avec un bout de bois dur ou un caillou pointu, laissait libre cours à son art et représentait  le monde qui l'entourait : de gros bisons poilus en troupeau, des Apatosaures énormes avec leur long cou et leurs yeux doux en train de brouter l'herbe, des antilopes ailées, tous les animaux vus dans la plaine et d'autres sortis tout droit de son imagination enfantine. Même Ander y figurait en train de terrasser toutes sortes d'animaux sauvages et Tal s'activant devant le feu. Sous le frottement de ses outils la couleur claire et naturelle de la roche donnait vie à ses modèles qui se détachaient joliment sur ce fond sombre, à la lueur des flammes vacillantes du foyer,  jouant avec les courants d'air.

Ander, le mari de Tal,  avait rapporté pour son épouse un grand morceau de peau avec les poils du super éléphant  qui ferait une jolie robe chaude pour l'hiver pour elle et un nouveau pagne pour Néo. "Chouette papa, maman va me coudre une nouvelle culotte! Bien vrai, dis maman?" Mais avant cela il fallait faire sécher cette peau, la débarrasser de toute la vermine et la tanner pour lui rendre sa souplesse naturelle.

Un jour, que les parents de Néo avaient convié quelques couples d'amis et de  voisins. L'un des copains chasseurs d'Ander, en faisant le tour de la caverne tomba sur les décorations murales de Néo. Celui-ci avait largement augmenté l'espace couvert de dessins et de gravures en noircissant les murs à l'aide de quelques bouts de bois pas entièrement consumés, là où les flammes du foyer n'avaient pas déposées leur voile de deuil. Seules les parois près de l'entrée étaient encore vierges de toute expression artistique.

" Mais c'est magnifique Ander comme tu as transformé ta grotte en musée!" Ander surpris des compliments de son ami lui expliqua alors que l'artiste était  son fils Néo et afin de ne point freiner son envie de s'exprimer ainsi, l'avait laissé faire. Finalement cela donnait une certaine valeur à leur habitation. Les autres personnes présentes admiraient à leur tour ces dessins sans oublier de féliciter Néo.

Ensuite tout le monde alla dans l'espace privatif en contrebas de la grotte pour participer à leur jeu de plein air préféré, une partie de galets. Ces pierres étaient bien rondes et lisses, charriées depuis des millénaires par les vagues de la mer proche. Pour gagner la partie il fallait lancer ces galets pour qu'ils s'immobilisent au plus près d'un gros œil de dinosaure séché et durci au soleil. Quelle rigolade!  Les cris et les applaudissements des enfants, quand le lancer était parfait, n'étaient pas moins bruyants que les invectives entre joueurs. Et avant de partir tous les invités firent encore des compliments sincères à Néo. L'un d'entre eux offrit même un silex de poche au garçon. Le rêve de tous les petits garçons!

Les réactions positives de leurs amis, concernant le repas servi, avaient fait germer une idée originale dans la tête de Tal qu'elle mit en application quelques temps après, je crois, au printemps de l'an 19.048 avant J.C. Elle disposa sur sa large terrasse quelques beaux rondins de bois ficelés à un fémur bien droit en guise de tables et mit autour quelques rochers confortables garnis de toutes sortes de peaux de bêtes. Elle y servirait une fermentation "maison" au goût d'herbes et de boyaux de gibier. Ander lui grava une ardoise qui indiquait que tout le monde serait le bienvenu moyennant quelques petits dons du genre légumes, viande dépecée ou objets et ustensiles courants, les plus rares aussi étaient  les bienvenus et donnaient droit à une double tournée.

La nouvelle fit le tour de la vallée et des montagnes alentour très vite. La fréquentation du bistrot "Chez Tal et Ander" augmentait rapidement à tel point qu'Ander dut tailler un pan de rocher haut et long pour servir les clients qui ne voulaient pas s'asseoir. Tal et son homme étaient heureux de leur réussite, Néo un peu moins, à laver les coquilles sales après le service! Rotpar, lui, accueillait les visiteurs à grands coups de léchouilles avec sa langue râpeuse et sanguinolente.

Mais là où toute morosité de Néo disparaissait instantanément c'est quand il fallait endosser le rôle de guide pour faire visiter la grotte et ses peintures et gravures murales. Les touristes, dont certains arrivaient de très loin, à dos de mammouths apprivoisés ou de chameaux, voire à cheval sur un dragon volant, ne manquaient jamais de le féliciter et de lui glisser une petite pierre brillante dans la main. De nombreux ouvriers avaient aménagé un parc de stationnement avec emplacements réservés aux gros moyens de transport  hors normes tels les mammouths ainsi qu'une piste d'atterrissage pour les "volants" de la compagnie "Air Dragon".

Ander ne chassait plus. La nourriture apportée par les clients, en échange de leur boisson et la visite de la grotte-musée, suffisait largement à leurs besoins ainsi qu'à l'employée nouvellement engagée pour laver les coquilles et le commis de cuisine. Tal avait fait creuser dans la roche au fond de la grotte par des tailleurs de pierre spécialisés trois cuvettes supplémentaires pour préparer ses breuvages fermentés dont bientôt on pourrait choisir le parfum : boyaux de poissons, ailes de serpents volants, abats de buffles, etc. Mais celui qui avait le plus de succès en "cocktail-plat du jour" c'était la "dinocup", morceaux de viande noire dans un jus de tripes anciennes. Un délice, un régal!

Néo, artiste né, quant à lui, perçait tant bien que mal les jolies pierres aux couleurs diverses parfois brillantes ou transparentes qu'il recevait des clients, pour les enfiler sur des brins d'herbe dure. Il offrit le premier objet réalisé ainsi à sa maman qui le portait tous les jours autour de son cou. Les clientes, jalouses, voyant cette parure, en  voulaient toutes une aussi belle. Le collier était né! Néo avait dû installer un rocher-table où il travaillait à la vue des visiteurs. La demande était tellement forte qu'à l'échange bijou contre nourriture,  cette dernière augmentait sensiblement en volume et qualité.

Puis il a fallu chercher une grotte nouvelle pour s'agrandir, d'abord dans la région, ensuite de plus en plus loin. Trouver des artistes pour reproduire fidèlement dans les nouveaux établissements les dessins de Néo et l'enseigne de la chaîne "Néo-Ander-Tal" dans son style d'origine, avait été le plus difficile. Les gérants embauchés pour diriger les succursales, étaient subjugués par cette nouvelle idée et faisaient vraiment de leur mieux pour respecter les recettes de Tal. Quant à Ander, à dos du premier animal-transporteur disponible à la location, il faisait le tour de tous les maillons de la chaîne et s'il en trouvait un trop faible, celui-ci était exclu  et devait changer de nom.

Et la suite? me direz-vous. Mais vous la connaissez! Chaînes de restaurants     comme "Longue Paille"," McCanard's", "Slow", etc. Joailliers tels que Vonclé et Arpège,  Bouchecarré, etc. aux boutiques à Paris, Monte-Carlo et New York, et dans le monde entier. Néons scintillants sur le "strip" à Las Végas, Tex-Mex ou Chinois. Musées de tout et de rien. Grottes ?  Voilà la situation aujourd'hui. Ce fut long pour en arriver là. Mais n'oubliez jamais que tout cela n'existerait pas à l'heure actuelle  sans les précurseurs, Ander, son épouse Tal et leur fils Néo qui avaient, il y a fort longtemps déjà, mis leur idée  "accueil et service au public" en application. Et comme, en ces temps reculés, nous consommons du bison aujourd'hui! Eternel recommencement. Boucle aux millions d'années refermée!

 

 

 

Au début c'était le néant.

Puis vint l'être vivant,

Qui créa le restaurant

Et le cabaret avec chant.

Des musées autant.

Mais n'est-ce-pas que du vent?

 

 

Le Colvert, Baudienville, octobre 2017.

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