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Les Contes du Colvert
8 janvier 2019

IJDOUHER, LA PETITE BEDOUINE.

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

 

NOUVELLE SERIE

 

 

N°.34.NS

 

IDJOUHER* LA JEUNE BEDOUINE.

 

 "Ce n'est pas parce que tu ne les vois pas qu'ils n'existent pas! Les djinns sont nos bienfaiteurs. Ils faut croire en eux et les prier. C'est ainsi qu'ils viendront nous aider un jour en oubliant leur soi-disante méchanceté naturelle."

Cette prophétie, cette croyance, étaient difficiles à admettre par une petite fille qui vivait dans la misère quotidienne avec ses parents, depuis sa naissance. Leur tente ronde couverte de bâches trouées, de tissus de toutes les couleurs passées par le soleil, récupérés on ne sait où, de peaux de dromadaires aux poils séchés, était implantée au bord d'une palmeraie, loin du puits central, là où les places étaient les moins chères. Le chemin quotidien, pour puiser un peu d'eau tiède et boueuse, était long et Idjouher, une fois son seau rempli, devait faire plusieurs haltes sur le chemin du retour tant l'eau, si rare en pareils endroits, était lourde. Elle tournait  dans sa tête, en boucle, les phrases que son père ne manquait jamais de lui répéter ainsi qu'à sa mère, tous les matins telle une prière, les mains jointes, le regard dans le vague, perdu au loin dans le désert infini qui entourait la palmeraie et leur misérable tente. Et à cette prière vinrent se mêler les souvenirs heureux de sa vie de bédouin nomade. Oui,  malgré la misère, il était fier d'appartenir à ceux que le monde entier appelait "Les Hommes bleus".

"Les djinns sont invisibles! Soit ! Est-ce qu'ils sont aussi sourds à nos prières?" Cette idée avait germé dans le jeune cerveau d'Idjouher alors âgée d'une douzaine d'années  à peine. Un garçon, un peu plus âgé qu'elle,  à qui elle  avait posé la question, lui répondit,  fier de montrer ses connaissances, que les djinns vivaient comme les hommes en bande ou tribus  et, qu'avec les pouvoirs surnaturels dont ils disposaient, ils pouvaient se transformer en êtres humains, plantes ou animaux. "Mais fais gaffe" ajouta-t-il " la plupart du temps c'est sous forme de serpent qu'ils apparaissent à nos yeux!" Idjouher, dont la mère lui racontait des contes de sylphes et d'autres esprits pour l'endormir malgré un ventre souvent vide, réfléchit à tout cela pour mûrir la décision qu'elle avait prise. "Si les djinns, même ceux qui sont un peu farceurs, sont bons pour les hommes, comment peuvent-ils ne pas entendre la prière d'une petite fille sage sans venir à son secours?"

Le soir venu, le soleil une fois disparu derrière les hautes dunes, dont les derniers rayons frisaient à peine leur crête, et les premiers ronflements audibles de son père - "pour faire peur aux fennecs" disait il en souriant le lendemain matin - Idjouher se glissa silencieusement en dehors de la tente. Elle frissonna. Enfin, après une journée sous une chaleur écrasante, l'Harmattan, cet alizé frais qui soufflait du nord, s'était levé. La nuit sera fraîche, on pourra enfin respirer un peu. Elle prit le chemin du puits, se déplaçant silencieusement en se cachant derrière les troncs des palmiers pour ne pas être vue.

Arrivée sur place, Idjouher constata qu'elle était seule et s'assit contre le tronc d'un palmier, cachée par les branches basses d'arbres plus jeunes et moins hauts que les autres. Alors elle commença à implorer les esprits invisibles, les sylphes vivant au ciel mais aussi les maritins qui se plaisaient dans l'eau et pourquoi pas, les djinns responsables du vent. Les prières de la jeune fille étaient un peu désordonnées et s'adressaient à tous à la fois dans l'espoir qu'au moins l'un d'entre eux les entendrait. Elle pleura doucement et ses larmes, en tombant au sol, étaient directement absorbées par le sable encore chaud. Puis, fatiguée, elle s'assoupit sur place, la tête reposant sur ses bras croisés sur ses genoux repliés contre son corps.

"Réveille toi belle Idjouher! Nous sommes nombreux à avoir entendu tes prières et être tombés d'accord pour t'aider toi, ainsi que tes parents. Mais auparavant  tu devras subir une épreuve! Si tu la réussis, montrant ainsi ton courage et ta fidélité envers nous, tu seras récompensée!"

La voix, qui murmurait à l'oreille de la jeune fille, était très douce et musicale. Elle semblait lui parvenir de tout près, de cette feuille qui lui caressait légèrement la joue. Idjouher, heureuse d'avoir été entendue, répondit qu'elle était prête à faire n'importe quoi pour  sortir, elle et ses parents, de la misère. Ils avaient dû fuir, tous les trois, les zones de combats d'une guerre interminable qui s'étendait très vite hors de ses frontières d'origine et qui semblait poursuivre sa tribu de nomades à travers ergs et sables d'un désert infini.

"Alors lève toi et approche toi du puits." Idjouher obéit, non sans une certaine appréhension. " Et maintenant saute!" lui dit la voix. Le ton était tout à coup celui d'un ordre que l'on ne discute pas. La fille s'approcha encore davantage du bord et commença l'escalade le petit muret de pierres entourant le puits. Un trou noir  duquel elle ne voyait pas le fond. Une très grande peur envahit Idjouher. Elle tremblait de tous ses membres. Les gouttes de sueur perlaient sur son front mais son cri d'effroi n'arrivait pas à dépasser sa gorge. Elle mit quelques minutes pour retrouver son calme. Puis, déterminée, elle se dit qu'après tout, si elle devait mourir aujourd'hui, elle n'aurait plus jamais faim ni soif, elle ne verrait plus la guerre ni n'entendrait ses bruits destructeurs pas plus que les cris de peur et les plaintes, le sang versé, et que peut-être ses parents seraient sauvés, plus libres sans elle.

Un petit pas encore! Elle enjamba la margelle du puits, croisa ses bras sur sa poitrine naissante, ferma les yeux et sauta!

Son cri aigu, lâché malgré elle, déchira le calme du petit matin dans la palmeraie. Dans un premier temps, Idjouher sentit bien que sa chute l'entrainait très vite vers le fond inconnu du puits. Je veux mourir vite, se dit-elle. Puis, sans s'en rendre compte réellement, sa chute se ralentit, un nuage l'enveloppa, peut-être déjà le ciel, pensa-t-elle, avant de s'évanouir complètement.

La même voix légère que précédemment, comme une douce caresse, fit ouvrir les yeux à la jeune fille, surprise de se retrouver au même endroit d'où elle était partie pour vivre le pire cauchemar de sa jeune vie. Idjouher se remit à pleurer mais cette fois-ci de joie, de bonheur, d'avoir échappé au pire. Le murmure provenait de la gueule ouverte d'un serpent jaune, enroulé autour de son mollet gauche, dont la langue fourchue était en perpétuel mouvement. Idjouher eut un mouvement de recul bien naturel mais le serpent la rassura très vite sur ses intentions. Alors elle osa même une petite caresse avec sa main au-dessus de sa tête.

"Tu as été très courageuse et la grande famille des djinns est très fière de toi! Plus tard, quand l'âge sera venu, tu deviendras l'une des nôtres et ta mission sera d'aider les petites filles, comme toi, dans le besoin. Mais nous en reparlerons avec toi d'ici de nombreuses années. Pour l'instant vie ta vie d'humaine, ta vie de fille de touareg, ta vie en bleu,  sans horizon."

Idjouher, tellement heureuse d'avoir survécu à cette terrible épreuve, ne voulait qu'une chose, rentrer chez elle. Elle avait même oublié le but de son escapade nocturne et pourquoi elle se trouvait là, près du puits et sans sa cruche. Mais avant de se mettre en route, le serpent jaune qui, de sa jambe s'était laissé tomber au sol, lui recommanda de  ramasser ses larmes en enfonçant ses doigts dans les petits trous laissés par celles-ci. Et là, surprise, elle sentit quelque chose de dur sous la surface du sable. Vite, elle creusa de ses deux mains et mit au jour quelques belles pépites d'or!

"Voilà ta récompense!" siffla joyeusement le serpent. "Ne les perd pas, cache les bien sous ta tente et ne t'en sers pas d'un seul coup pour ne pas attirer l'attention des envieux. On a tué pour moins que cela. Bonne chance jolie Idjouher!"

Comme convenu avec son ami le serpent, elle raconta à ses parents qu'elle avait trouvé ces petites pépites en jouant dans le sable. Prudents eux aussi, ils ne s'en servirent qu'au compte goutte pour racheter le nécessaire. La toile couvrante de la tente fut changée, les tapis éliminés et les poufs remplacés, leurs deux vieux dromadaires échangés pour des bêtes plus jeunes, donc plus robustes. La famille d'Idjouher put aussi prétendre à un emplacement plus près du puits, participer aux méchouis  et acheter quelques fruits et légumes frais au marchand nomade qui s'arrêtait dans la palmeraie une fois tous les deux mois. "Courgettes, aubergines, pois chiches, melons et dattes du djebel** Amour!"

Peu de temps après, le bruit de la guerre s'éloigna. Le désert redevint plus sûr et les longues et lentes caravanes, majestueuses, purent reprendre leur chemin tracé dans cet univers de sable et de cailloux. La longue file de dromadaires se déplaçait, ondulait à travers les obstacles de cette nature sévère, allant de palmeraies en oasis. Souvent son chemin se fit en d'énormes cercles pour ne pas perdre la direction de l'eau, précieuse entre tout, ou se dirigea droit vers l'infini, vers une destination où l'on n'arrive jamais; le sentiment inné  de cette belle errance éternelle chevillée au corps et dont le but se trouve toujours une dune plus loin.

 

 

 

 

Tourner en rond ou aller droit vers l'infini,

C'est marcher et se déplacer aussi.

Mais en prenant un chemin par-là, par-ci

On finit toujours par se retrouver ici.

 

* Idjouher, prénom féminin qui, du langage bédouin et touareg, se traduit par "perle". Dans le contexte de ce conte, il est certain, que les parents appelèrent leur fille "petite ou jolie perle".

** Le mot djebel (ou gebel, jabal, jbel, djabal, etc.) désigne une région montagneuse aux vallées fertiles. Le djebel "Amour" devrait pouvoir se trouver sur une carte détaillée du Sahara! En cherchant bien... Là! Non! Plutôt derrière cette dune là ...

 

Le Colvert, Baudienville, Janvier 2019.

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