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Les Contes du Colvert
8 mars 2019

L'ARBRE.

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

 

N°36NS

 

L'ARBRE.

 

Notre maison était construite dans un trou. Un vrai trou naturel  ou celui du cratère d'un ancien volcan heureusement endormi depuis des millénaires, éteint, HS, ayant craché ses laves bouillonnantes jusqu'à plus soif ? Personne n'en savait rien. Quand nous nous promenions sur les collines qui entouraient notre propriété et que la cheminée de notre maison émettait un mince filet blanc de fumée, c'était toujours le même cri "Vite, sauvons nous, il va se réveiller, sinon nous finirons en "méchoui" et tous les quatre de partir d'un fou-rire difficilement contrôlable! Tous les quatre, c'étaient Maman, Papa, ma petite sœur et moi. Et je pensais à ce que nous deviendrions, notre maison, notre joli jardin et les nombreux arbres exceptionnels qui l'entouraient, en cas d'éruption du volcan après de nombreux siècles de sommeil.

Parmi ces arbres centenaires qui surplombaient notre habitation  à mi-hauteur des collines qui nous encerclaient, il y avait "mon" arbre, un "PinusDévorus" de toute beauté, très haut et qui fleurissait quatre fois par an, offrant au soleil des fleurs d'un carmin profond et dont les pétales, une fois flétris, tombaient en gouttes rouges, disparaissaient sous terre, comme aspirés, contrairement aux feuilles mortes de l'automne qui pourrissaient étalées sur le sol ou sur les branches basses de leurs copains et voisins.

Malgré cet environnement ludique, très vert, très écolo, il planait comme un mystère au-dessus de notre trou, comme un léger voile nuageux servant de rideau pour nous isoler des autres. Un petit malaise non palpable ayant pour origine une disparation mystérieuse. Lors d'un bon repas, en juillet, il y a un an déjà, mon oncle avait disparu alors qu'il s'autorisait une petite sieste après le café, dans son fauteuil de jardin, le restant de la famille s'étant retiré à l'intérieur de la maison. Impossible de le retrouver! Et cela malgré les kilomètres parcourus à sa recherche. Les gendarmes sont venus plusieurs jours de suite pour chercher des indices. Les chiens policiers après avoir reniflé la casquette de mon oncle, seul souvenir qu'il nous avait laissé, partaient dans tous les sens, reniflaient jusque dans le moindre coin, et levaient la patte contre le tronc de mon arbre.

Rien n'y fit! L'oncle s'était volatisé et ma tante ne cessait de pleurer depuis ce jour-là. Elle est quand même revenue cette année pour notre repas annuel et familial et a disparu à son tour lors d'un arrêt pipi dans les buissons. Nous l'avons cherchée pendant des heures, les gendarmes aussi et les chiens ont retrouvé leur propre odeur sur nos arbres. Mais pas de tante! Nous sommes restés tous les quatre en garde à vue plus de quarante-huit heures à la gendarmerie et avons subi des tas d'interrogatoires dont la question principale était "Allez, finissons-en et dites nous où vous les avez enterrés?" C'était la question aux adultes, à ma sœur et moi, "Alors vous n'avez rien vu de suspect?" Ma petite sœur pleurait et ne pouvait répondre. Quels beaux titres, à la Une des journaux, que cela aurait fait! Mais nous n'en savions pas plus qu'eux.

Curieux malgré tout, se demandant comment ces disparitions, ces enlèvements, avaient pu se produire, Papa a fait installer des caméras à vision infrarouge, diurne et nocturne, qui englobaient dans leur champ visuel les quatre côtés de la maison et une bonne surface du jardin. Le monstre ou les assassins, l'ignoble homme des neiges, la créature du diable ou les cavaliers sans têtes, tous les barbares ou sauvages, étaient attendus, pour identification! Et après avoir visionné des heures de tournage, "oh, là, il me semble...", "là, derrière...", faux espoirs et toujours rien!

C'est alors qu'une idée m'est venu à force de remuer et retourner la question de la disparition sans trace dans mon jeune cerveau. Pourquoi ne pas tendre un piège à celui ou celle qui m'avait privé d'une tante et d'un oncle, particulièrement généreux avec ma sœur et moi même, les jours à cadeaux?

J'ai soumis l'idée au conseil familial, applaudissements de la sœurette, scepticisme de Maman et encouragements du grand sachem! Alors en route pour la grange, sous surveillance paternelle, car aucun de nous quatre ne pouvait plus aller au jardin ou dans les bois tout seul. Deux vieux sacs à patates, un manche à balai tordu, des sacs vides de maïs concassé, un ancien chemisier déchiré de maman, une casquette, de la paille pour en faire un semblant de corps humain et beaucoup de ficelle, l'épouvantail était prêt. Mais pourvu qu'il ne joue pas son rôle mais plutôt celui d'un ver de terre frétillant au bout de son hameçon! Le pauvre.

La surveillance pouvait reprendre. Deux jours et deux nuits se sont passés sans que nous ayons entraperçu quelconque mauvais esprit pas plus que "Jacques l'étrangleur" un jour de grande faim. Et puis, à force de patience nous avons assisté à un spectacle incroyable cinq jours plus tard. Des images hallucinantes, invraisemblables, tout droit sorties d'un film d'épouvante.

A mi-hauteur de la colline la terre se soulevait comme si une grosse taupe se frayait un chemin à seulement un ou deux centimètres sous la surface, sous les racines de l'herbe. Curieusement la terre ne retombait pas derrière elle et le boyau creusé devenait de plus en plus gros au fur et à mesures que  la pointe, la tête de la chose progressait, se dirigeait vers la maison. Nous regardions, les yeux écarquillés de frayeur, ce serpent de terre s'avancer de plus en plus, direction notre table de jardin et donc du mannequin qui y "dormait" tranquillement dans un des fauteuils, sans se douter du danger qui approchait. Nos pensées allaient vers mon oncle disparu de la sorte il y a deux ans déjà. Parvenu à un mètre environ, ce que nous croyions être un très long reptile,  creva la surface de la terre dans un tourbillon de mottes de terre, d'herbe et de fleurs arrachées, pour se révéler à nous. C'était une des racines majeures de l'arbre, de mon arbre ce qui plus est! La racine s'élevait de plus en plus haut, se tortillant comme une danseuse du ventre orientale et d'un coup, en s'allongeant de plusieurs mètres encore, s'est abattue sur mon épouvantail, duquel, visiblement elle n'avait pas peur. Comme dans "le livre de la jungle", la racine emprisonna celui-ci comme un serpent l'aurait fait pour étouffer sa proie. Une fois le "paquet" emballé la racine se rétracta emportant sa prise. Elle fit le même chemin à l'inverse et en regagnant son,  et mon,  arbre en reculant. La terre se referma sur son passage ne laissant aucune trace visible à la surface. L'herbe, les fleurs, tout avait retrouvé son emplacement initial. Et l'écran nous montra, comme les jours précédents, un paysage calme et serein. Seul avait disparu ma grande poupée en paille. Mais...si mon arbre mangeait les humains il devait être drôlement déçu par sa prise! De la chair fraîche à la paille, c'était un sacré changement de régime!

En effet, et de l'avis de nous tous, la digestion avait été difficile compte tenu du nombre de brins de pailles retrouvés le lendemain matin autour de mon arbre. Il avait l'air...d'un arbre qui cachait bien son jeu! Papa a montré les images enregistrées aux gendarmes, qui eux aussi, avaient du mal à croire et comprendre ces disparitions. Il fût décidé d'abattre mon arbre sous vingt quatre heures, le temps de faire venir les experts en toutes sortes de sciences. En attendant, un périmètre de sécurité fût installé autour de mon arbre, très large et qui prenait la moitié du jardin et de la colline.

Deux jours plus tard, sans avoir à signaler d'incident nouveau, les bûcherons spécialisés dans les cas graves se mirent à tronçonner mon arbre, sous l'œil vigilant des gendarmes armés de mitraillettes, des huissiers, des spécialistes forestiers, des caméras de télévision. Et aussi sous les regards de nous quatre et de mes pleurs.

Une fois mon bel arbre abattu ce fût le délire. J'ai demandé si je pouvais mettre deux ou trois branches fleuries dans un vase. Ok, mais pas dans la maison. Les larmes rouges des branches ont fait fondre notre table de jardin. Nouveau mystère!

En premier et bien enfoncé, entre le bois et l'écorce, on retrouva le collier de ma tante. Et quand les ouvriers se mirent à découper le tronc, comme on coupe un saucisson, en tranches épaisses, arriva la montre-chronomètre de mon oncle, plus haut les alliances de tata et tonton. Plus loin on retrouva la boucle métallique de la ceinture de mon oncle et surprise pour tous, une prothèse dentaire métallique! L'arbre, mon ex-arbre aux fleurs rouge-sang, avait absorbé tout ce qui était chair humaine et tissus, rejeté et stocké ce qui était difficile à digérer, à savoir tous les objets en métal dur. Et une fois déraciné les experts trouvèrent un tas d'os humains, fémurs et radius entre autres, en dessous des racines tel que les archéologues exhument les squelettes des tombeaux vieux de plus de deux mille ans en Egypte. Et pas mal de paille aussi.

Tout le bois fût saisi pour expertise et gardé je ne sais où. Il ne nous fût pas rendu après autopsie. Nous l'aurions pourtant brûlé avec joie dans notre cheminée mais sans y faire griller des brochettes. La terre, du trou duquel fût extrait mon arbre, a fait l'objet de multiples analyses, toujours avec un résultat négatif quant à la présence d'ADN humain. Le casse-tête idéal et sans solution!

C'est seulement quinze ans plus tard, maman et papa étant décédés, ma sœur mariée loin d'ici et du mystère toujours pas éclairci,  que je reçus l'autorisation de reboiser le flanc de colline, là où vivait auparavant mon arbre mangeur d'hommes. J'y ai planté, en souvenir, un érable à feuilles rouges persistantes.

 

 

LA NATURE A DE NOMBREUX SECRETS

QUE L'HOMME NE PERCERA JAMAIS.

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, mars 2019.

© Stéphane Bertrand/02:2019.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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