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Les Contes du Colvert
18 mai 2019

SAÏ-VISHNI, LE FAKIR

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

 

 

N°38 NS

SAÏ-VISHNI, LE FAKIR.

 

Il y a quelques siècles en arrière,  Saï-Vishni vivait dans une grande et belle ville dont les riches palais laissaient pointer leurs tourelles vers le ciel. Aujourd'hui une  rue porte son nom dans cette ville qui avait été bâtie au milieu d'un désert sans fin. Elle était entourée de palmeraies qui lui apportaient une légère fraîcheur quand l'Harmattan* voulait bien souffler un peu. Entre les arbres était cultivé le nécessaire pour nourrir tous les habitants et les nombreux puits suffisaient largement à abreuver hommes et bêtes et arroser les cultures.

Saï-Vishni était fakir de son état, pas très riche, il avait dû mendier durant quelques années, et habitait maintenant une maison modeste, néanmoins agrémentée d'une cour intérieure, avec un puits et  plusieurs bougainvilliers aux fleurs mauves et oranges. C'était l'endroit où il élevait ses nombreux serpents nécessaires à exercer son métier. Cobras royaux, boas et autres pythons vivaient là en semi-liberté et en bonne entente entre eux. Dans ce mélange de grands corps entrelacés qui se prélassaient au soleil, on pouvait également distinguer quelques vipères, anacondas et crotales. Tous ces reptiles étaient bien nourris et aimaient beaucoup leur maître, le fakir, au point que certains d'entre eux se faufilaient en douce jusque  sa couche pour bénéficier de la chaleur humaine pendant la nuit plus fraîche!

Quand Saï-Vishni arrivait sur la Grand'place de la ville et s'y installait pour la journée, une volée de gamins accourait pour lui offrir le résultat de leur chasse nocturne - rats, souris, hamsters et autres petits mammifères -  pour nourrir les serpents. Il enfermait ces bestioles dans une caisse en attendant l'heure du repas de ses reptiles. Pour l'instant il dépliait sa planche à clous, la couvrait d'un petit tapis, un peu usé, troué et pas très propre, déposait près d'elle le panier tressé contenant le serpent de corvée ce jour-là. D'une de ses profondes poches il extirpait sa flûte de bambou puis s'asseyait sur son tapis. Immédiatement il prononçait la formule magique pour se mettre en lévitation quelques centimètres au dessus des clous. En effet, il s'allongeait souvent sur sa planche cloutée quand les badauds étaient en nombre, pour gagner quelques piécettes mais rester assis toute une journée dessus, on a beau être fakir et ne pas souhaiter  voir ses fesses transformées en passoire à légumes!

Enfin prêt, Saï-Vishni ouvrait le panier, entamait un air du folklore local et lancinant avec son pipeau et au bout de quelques minutes le serpent du jour se laissa admirer et faisait nombre de contorsions sous les applaudissements de la foule. Ce jour-là c'était un boa de plus de six mètres de long qui émergeait du panier pour monter, monter toujours plus haut. Quand Saï finissait de jouer, le magnifique serpent redescendait tout doucement pour se ré-enrouler au fond de son panier. Mais juste avant de faire disparaitre sa tête le boa penchait celle-ci vers la main de son maître pour y déposer quelque chose de mystérieux. Saï-Vishni refermait rapidement sa main et demandait "Alors, aujourd'hui que m'a-t-il donné pour vous faire plaisir?"  Aussitôt les spectateurs présents mettaient la main à leur bourse pour déposer une pièce dans le vieux bol vert ébréché que faisait circuler parmi eux un gamin. Celui-ci, après avoir fait le tour afin que personne ne se faufile sans avoir donné son obole au vieux fakir, le déposait aux pieds de Saï. Alors comme tous les jours il ouvrait sa main.   Ce matin c'était une pépite d'or! Cela aurait pu être de l'argent, une pierre précieuse ou, les jours maigres, une simple datte. Comme il aimait regarder les badauds ces jours-là!

Et comme tous les jours, le fakir lançait le "crachat" du serpent vers la foule. Cela occasionnait une joyeuse et poussiéreuse pagaille. Si une des personnes présentes devenait agressive envers celle qui, plus adroite ou plus rapide, serrait sa pépite dans sa main, alors, sur un simple coup de sifflet du fakir, le serpent jaillissait de son panier, langue fourchue en mouvement, se dressait devant l'agresseur, qui très rapidement retrouvait son calme pour féliciter le gagnant. Puis la foule se dispersait lentement avec parmi elle un heureux!

Saï-Vishni, lui, était heureux aussi. C'était sa façon de faire plaisir. Son bonheur était de distribuer les pièces de monnaie qu'avait produit la quête aux enfants. Lui, ne gardait que le minimum nécessaire à l'achat de sa nourriture. Il ne mangeait pas beaucoup, pas seulement par manque d'appétit, mais aussi pour rester le plus mince et léger possible  pour se reposer sur sa planche à clous sans que ceux-ci pénètrent trop profondément dans ses chairs.

Une fois rentré dans sa maison, Saï commença par libérer le serpent qui l'avait accompagné tout au long de cette journée. Celui-ci rejoignait alors ses copains, heureux des retrouvailles, et se mêlait à eux en s'étirant de toute sa longueur, geste des plus normaux quand on est resté enroulé toute une journée. Puis le fakir murmurait quelque formule magique et en un clin d'œil se trouvait assis sur le seau du puits et descendait, en se tenant bien à la chaîne, dans les ténèbres fraîches et sombres. A son injonction l'eau se retirait pour le laisser  s'agenouiller devant un énorme coffre. Cette grosse malle ne craignait pas l'humidité et contenait un trésor fabuleux qui, si Saï l'avait voulu, aurait fait de lui l'homme le plus riche de sa ville, de son pays, et des autres à la fois! Mais le fakir était détaché des biens de ce monde et n'était heureux qu'en voyant le sourire des gens qu'il gâtait. Il prélevait ainsi tous les soirs une pièce d'or, un rang de perles ou un diamant très gros  qui deviendrait le lendemain le "crachat" du serpent. Saï referma soigneusement son coffre, grimpait dans le seau et remontait à la surface du puits non sans avoir commandé à l'eau de reprendre sa place. Puis il grignotait sa petite côtelette d'agneau avec deux piments rouges, souhaitait bonne nuit à ses serpents et rejoignait sa natte, à même le sol, pour dormir du sommeil du juste.

C'est cette nuit là qu'un jeune voleur, qui avait espionné Saï du toit plat d'une maison un peu plus haute que la sienne, tentait de s'introduire chez lui. Il voulait explorer le puits et découvrir le secret du fakir, car pour pouvoir donner, enfin jeter à la foule, un objet de grande valeur chaque jour, celui-ci devait être immensément riche! Le chapardeur du marché, qui aimait aussi détrousser les gens faisant leurs achats, sautait du haut du mur dans la courette faisant très attention à ne pas poser un de ses pieds sur la queue d'un des nombreux serpents qui semblaient dormir profondément. Il se hissait sur le rebord du puits, regardait le fond avec un peu d'appréhension mais ne vit que l'eau se refléter à la pâle clarté de la lune. Courageusement il se laissait descendre tenant bien la chaîne, et arrivé au niveau de l'eau plongeait retenant sa respiration. Et boum, il se cognait la tête contre le coffre du fakir. Ce qu'il avait vu l'encourageait à revenir outillé pour faire sauter les gros cadenas qui refermaient le trésor. La tête hors de l'eau il reprit sa respiration et remonta le long de la chaîne du puits. Arrivé presqu'en haut, il arrêtait son ascension pour écouter très attentivement et pour guetter le moindre bruit. Rien, tout semblait calme et silencieux. Il prenait appui avec ses mains sur le rebord du puits et se hissait sur celui-ci. Et là, la surprise! Tous les serpents, mi-dressés, faisaient une jolie ronde autour de lui. Leurs langues fourchues dansaient un ballet d'avant repas. Un crotale se saisit du voleur, s'enroula autour de lui pour l'endormir...

Le lendemain matin quand Saï-Vishni, après une  bonne nuit sans cauchemar et avoir, comme tous les jours à l'aube, salué et caressé ses amis les reptiles et avoir distribué rats, souris et autres gourmandises, il s'étonnait de leur manque d'attention à son égard et du peu d'appétit dont ils faisaient preuve. Il pensait que quelques chauve-souris, pendues le long des branches des bougainvilliers en fleurs, avaient vu leurs jours se terminer cette nuit là dans le ventre d'un de ses serpents. Des hardes malpropres du jeune voleur, aucune trace!

 

GARCON QUI CHAPARDE ET FREDONNE

NE MANQUERA A PERSONNE.

 

* L'Harmattan est un vent du désert qui souffle faiblement du nord-est.

 

 

Le Colvert, Baudienville, mai 2019.

© Stéphane Bertrand/02: 2019.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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