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Les Contes du Colvert
12 juin 2019

KAHOY, FILS DE MENUISIER.

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

 

N°39 NS

 

KAHOY, FILS DE MENUISIER.

 

Il n'y a pas si longtemps, vivaient modestement un menuisier avec son fils Kahoy dans un village de montagnes en bordure d'une grande forêt.  C'est d'elle qu'ils tiraient le bois nécessaire à leur travail. La maman de Kahoy était morte accidentellement, écrasée par un très gros sapin, lors d'une coupe, en gérant cette forêt d'une façon responsable. Kahoy, un gars costaud et grand, et son père la pleuraient tous les jours et faisaient brûler nombre de cierges en faveur de son âme dans la petite chapelle du village qui avait été construite, entièrement en bois, par le papa de Kahoy.

Kahoy, à dix huit ans, commençait à se lasser un peu du travail quotidien et monotone de la menuiserie. Réparer, à longueur d'année, chaises bancales, tables à trois pieds et scier les planches des cercueils à la bonne mesure du défunt était peu valorisant. Heureusement que c'était son père qui allait prendre les mesures du mort et pas lui. Encore une chance! Mais quand son papa prendra sa retraite, il faudra bien qu'il s'y mette! C'était une des raisons pour laquelle il voulait faire autre chose. Alors il pensa à fabriquer des échelles assez hautes pour atteindre le ciel et rendre visite à sa maman bien aimée.

Kahoy s'y mit, deux troncs de sapin bien droits firent son affaire et pour les marches, les branches seraient taillées à la bonne mesure. Un jour, en forêt, le nez en l'air pour choisir les arbres, il rencontra un petit bonhomme tout vert qui  proposa de lui fournir une main d'œuvre nombreuse et gratuite afin de mener à bien son objectif. Il lui proposa de mettre à la disposition de Kahoy une armée d'esprits forestiers pour l'aider mais qui ne travaillaient que de nuit pour ne pas se faire repérer par d'autres êtres humains. Kahoy accepta avec joie et à compter de ce jour-là vit, en se réveillant, une dizaine d'échelles de plus que la veille. Les deux montants étaient parfaits, lisses et cirés, et les échelons, bien encollés dans leurs supports verticaux. Ne manquaient pas non plus les encoches des montants, en bas et en haut, pour emboîter les échelles l'une sur l'autre.

Surpris et ravi à la fois de ce travail bien fait, Kahoy décida de se réveiller la nuit suivante pour jeter un coup d'œil à l'atelier. Il enfila son vieux blouson par dessus  son pyjama et, sans faire de bruit, se dirigea vers une petite lucarne discrète dans le mur. Il vit le petit bonhomme, rencontré dans la forêt debout sur un fût renversé, faire de grands gestes avec ses deux bras comme s'il  dirigeait un orchestre philharmonique interprétant la sixième symphonie de Beethoven. En fait, il donnait ses ordres aux esprits, invisibles pour nous. Il semblait être tout seul mais les morceaux de bois bougeaient, volaient aussi tout seuls pour prendre leur place. Il assista  à un véritable ballet où les montants se baissaient pour recevoir les échelons, puis une fois assemblés,  la nouvelle échelle  se rangeait toute seule avec les autres. Elles gagnaient leur place en dansant avec une légèreté de ballerine.

Kahoy fut pris de vertiges devant ce spectacle et retourna se coucher. Quel cauchemar, se dit-il quelques heures plus tard en s'éveillant, ai-je fait cette nuit! Et pourtant en arrivant à son lieu de travail habituel, dix nouvelles échelles s'y trouvaient, bien rangées  et l'atelier avait été balayé et brillait comme un sou neuf. Pas un copeau oublié en vue.

Le papa de Kahoy ne comprenait pas le soudain engouement de son fils pour fabriquer autant d'échelles. "Mais si Papa"  lui dit son fils,  "Tout le monde a besoin d'une échelle ne serait-ce que pour grimper dans le grenier ou descendre vers le ruisseau. Les pompiers nous les achèteront pour sauver des enfants dans une maison en feu. A plat on peut traverser un gué et les grenouilles nous diront le temps qu'il fera demain," ajouta-t-il en riant. "Et n'oublie pas le plus important, sans échelle comment le Père Noël arrivera-t-il jusqu'au toit et la cheminée! Et j'ai oublié notre grand cerisier..."

Ne sachant plus où stocker les échelles - il y en avait des douzaines sous une grande bâche et la fabrication continuait chaque nuit - Kahoy commença petit à petit à les emboîter les unes aux autres. Le faîte du toit fut rapidement dépassé et le jeune garçon continua son œuvre. Les échelles restèrent debout les unes au-dessus des autres, et cette très grande échelle formée par les plus petites, dépassa en quelques jours la hauteur du clocher du village. Kahoy monta aussi vite qu'il put une échelle sous le bras pour la mettre au bout de l'autre, redescendit pour en prendre une autre et remonter aussitôt. Son chemin d'échelons montait, montait toujours plus haut. Et tenait bon! Par quel miracle ?

Quoi qu'il en soit la "grande échelle" s'élançait vers sa destination dans les nuages, surtout depuis que les bons esprits de la forêt apportaient les rallonges à une bonne cadence pour éviter les aller-retour au jeune homme. La première rencontre que fit  Kahoy là-haut, ce fut un vol de colverts furieux de trouver un obstacle sur le tracé de leur vol. Et quand un canard de cette race a quelque chose à dire il ne manque pas de vocabulaire! Le garçon se vit dans l'obligation de clouer une grande pancarte  "Déviation  →←" sur un des montants de son chemin vers le ciel. Pendant cette interruption involontaire des travaux, de nouvelles échelles avaient été déposées à portée de main de Kahoy, sur un petit nuage proche. Le garçon reprit son boulot avec courage.

Reprise à nouveau interrompue par une énorme boule d'acier, hérissée d'antennes comme les piquants d'un poisson lune, qui entra en collision avec les échelles et en fracassa une dizaine. Par un des hublots de cette boule pour géants un petit chien blanc fit des signes d'amitié à Kahoy en s'éloignant très vite. Puis l'échelle croisa les routes aériennes de nombre d'aéronefs dont les réacteurs furent endommagés, par des débris de bois, et qui durent se poser en urgence. Toutes les compagnies de transport aérien durent modifier leur trajet. Et encore plus haut, l'environnement ne manquait pas de météorites qui fonçaient droit devant elles sans prendre garde à ce qui se trouvait sur leur trajectoire. Encore un contretemps pour le chantier de Kahoy et beaucoup de morceaux de bois en orbite! La station internationale aurait de quoi se faire un bon feu de cheminée! On a le droit de rêver! Surtout dans un conte!

Mais un jour ce fut la catastrophe. Les échelles tombèrent l'une après l'autre. Les plus hautes tournent encore aujourd'hui autour de la terre en dehors de la zone d'attraction de cette dernière. Et elles ne s'ennuient pas là-haut entre les satellites, les ovnis et tous les déchets métalliques qui commencent à envahir les chemins et les routes célestes! Et pas d'éboueurs disponibles à cette altitude!

Les autres morceaux de bois, venant de moins haut, retournèrent sur terre comme une véritable averse  de bois plus ou moins grands et lourds. Les météorologistes se grattent toujours la tête d'incompréhension, des "Je sais tout" mirent ce phénomène sur la déforestation amazonienne et les plus malins stockèrent ce bois pour allumer le feu l'hiver suivant ou celui de la Saint Jean. Et quand l'hiver arriva ils ne trouvèrent plus que des copeaux minuscules entre une foule de vers à bois affamés, responsables de ce grand désastre. On dit volontiers qu'un grain de poussière peut dérégler la machine mais rarement qu'un petit ver blanc peut anéantir le projet d'un "grand homme haut placé"!

Après sa chute, car Kahoy s'est retrouvé dans sa cour avec une jambe cassée, il a préféré grimper à  l'échelle sociale, échelon par échelon, et sans oublier de renouveler les cierges à la chapelle de son village. On murmure qu'il est maintenant président de la chambre professionnelle du bois et de la menuiserie. Sûrement avec une mission prioritaire, éradiquer la race des vers à bois!

 

 

 

 

 

A VOULOIR MONTER TROP VITE,

CROYANT EN SA CHANCE

SANS BEAUCOUP DE PATIENCE,

LA CHUTE NE SERA PAS FORTUITE

ET PAS TOUJOURS GRATUITE.

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, juin 2019.

© Stéphane Bertrand/02:2019.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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