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Les Contes du Colvert
30 janvier 2022

LE FOU DU ROI.

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 30

 

 

LE FOU DU ROI.

 

 

 

Le Fou du Roi avait beaucoup voyagé à travers différents royaumes, souvent à pied, des fois à dos d'âne mais rarement pris en croupe sur un vaillant destrier qui s'en revenait de guerre et ne rêvait plus qu'à son champ à la bonne herbe fraîche sous sa rosée du matin. Las de ses errances il avait fini par se fixer à la cour du roi Croquemou I° qui régnait sur un grand pays dans le Monde des Songes. Le fripon était laid, d'une laideur abominable. Cette laideur faisait son succès à la cour du roi. Ses moqueries faisaient la joie des présents, surtout des jeunes princesses  et autres jeunes filles de haut rang qui riaient de bon coeur à ses insolences, chants et autres jongleries et ne s'imaginaient pas  prendre pour époux un homme de si peu et si laid.

 

Et ce fou, qui voulait faire mieux que Momos le bouffon de l'Olympe, amusait toute l'assemblée et le roi aussi qui parfois, en entendant ses impertinences, se livrait à une errance spirituelle... "Mais pourquoi  je le laisse faire ? Je peux le faire taire. Pourquoi  ne le fais-je pas  pendre haut et court au gibet de la place royale au milieu du village ? Non, je ne le peux. Sacrifier son fou prédit la même mort à celui qui l'a condamné." Donc Tristan de Marchepied, car tel était son nom, noble des rues, désigné comme tel, fou et bouffon, ménestrel, adoubé par le tribunal de la Cour des Miracles, continuait à faire rire sa majesté et amuser la cour.

 

Dans les multiples poches de son habit, il dissimulait de nombreux petits flacons de plusieurs élixirs, faits à base d'alcool de figues de barbarie lui permettant de grandir pour devenir un géant ou de rapetisser en nain pas plus haut qu'un gobelet de vin. Du plafond de la salle où se tenaient les banquets du roi, Tristan redevenait un myrmidon parcourant les tables en zigzags entre verres de cristal et assiettes en vermeil, trébuchant parfois sur un os de poularde ou une côte de sanglier.

 

Quand il était là-haut, sous les voûtes de pierres, la reine lui aurait bien mis un plumeau entre les mains afin qu'il débarrasse le plafond des toiles d'araignées et de ces bestioles en même temps. Mais bien sûr le protocole lui interdisait de le faire. Lorsqu'il n'avait plus que quinze centimètres de haut en faisant le pitre  entre assiettes et verres elle l'aurait bien vu faire le ramassage des miettes de pain sur la table pour les distribuer aux paons  qui paradaient sur les pelouses royales! Mais là encore elle ne pouvait pas intervenir sans se ridiculiser aux  yeux du roi et de leurs invités. Alors Tristan gambadait en goûtant à tous les plats et aussi aux boissons, chantant ou récitant des poèmes d'antan. Parfois il était en vrai danger quant un convive agacé tentait de le clouer sur la table avec son couteau. Alors il reprenait figure et taille humaine très vite et dans ses poèmes parlés, tous les défauts et mauvaises actions de l'invité en question, livrés à l'assemblée, faisaient bien émettre des cris de surprise aux participants. Et le roi ne manquait jamais de convoquer l'individu  concerné en audience privée pour augmenter les taxes à payer à la couronne ou le jeter au fond des oubliettes, voire le pendre. Tout cela bien entendu en fonction de la gravité des fautes ou tricheries révélées par son fou. Fou ou bouffon et chef de la police secrète de sa majesté?

 

Ces services rendus à la couronne valaient bien les dépenses royales pour héberger, chauffer et nourrir son fou pensa le roi et du coup les moqueries et informations que lui apportait Tristan étaient largement amorties. Les louis d'or et autres ducats gagnés en échange d'un lourd tribu subi par le peuple pour financer gendarmes et soldats et les distractions de la cour, renflouaient par la même occasion la caisse noire et secrète du roi.

 

Ainsi allait la vie à la cour de Croquemou I° entre insolences et rires dont Tristan était à l'origine. Toujours plus fou, toujours plus insolent et pourtant quand il se transformait en ménestrel, ses récits, chansons et  imitations des grands d'autres royaumes n'étaient que sons musicaux délicieux, poétiques et fleuris, pleins d'indulgence pour les régnants voisins.

 

Un soir, où justement les rois et reines des royaumes alentours avaient été conviés à l'anniversaire de Croquemou I°, que la grande salle des fêtes   était au grand complet et que les domestiques allaient chercher des sièges dans les chambres du château pour asseoir tous les participants, que la cour d'honneur était encombrée de carrosses, de chaises à porteurs et des chevaux des attelages, il s'est produit l'impensable!

 

En effet, Tristan comme toujours en pareille occasion, avait donné le meilleur de lui même, se surpassant dans ses cabrioles et changements de taille, avait fait un saut bien haut tout en se retournant sur lui même et avait perdu toutes ses fioles d'élixir magiques. Celles-ci étaient retombées sur les tables où était servi le souper. Aussitôt les grands de ce monde mais aussi les petits sans grade s'étaient précipités sur elles pour goûter. Et le résultat fut...incroyable et surprenant! Croquemou I° s'était immédiatement transformé en un géant hideux obligé de se baisser pour ne pas heurter les plafonds avec sa couronne; la reine mesurait à peine dix centimètres de haut et ressemblait à une figurine en opale à mettre sous vitrine. Pour les autres participants du repas - galantines de faisans, consommé de queues de bœufs, salades de crabes et moules, pintades rôties, têtes de veaux et pieds de porcs, farandole de terrines et salades, agneaux à la broche, fromages des provinces du royaume, desserts de glaces et, enfin, pièce montée de huit niveaux sublimement décorée des grands moments du règne et des actions glorieuses du roi - ils étaient soit grands soit petits! Bien sûr la confusion qui régnait  était à son comble. Les petits râlaient de ne pas être grands et ces derniers de ne pas être revenus à leur taille humaine!

 

Les géants s'accouplèrent entre eux et les lilliputiens firent de même. Les royaumes s'unirent en une fédération couvrant la moitié de la terre et devint le pays le plus puissant du monde. A l'entrée de chaque état étaient affichées les mensurations obligatoires pour y circuler afin qu'aucun carrosse de "grand" n'écrasât ceux des "petits" sous un sabot de cheval. Pour ©faciliter la circulation on inventa les routes périphériques. Tristan, après des années de détention au fond des oubliettes en fut tiré, condamné à mort par noyade et mis dans un verre de vin de Madère qu'il affectionnait particulièrement, avec une soucoupe au dessus pour éviter toute fuite. De grand il avait rapetissé sans l'aide de son élixir ! Comment ? Pourquoi ? L'histoire ne nous le conte pas. Au Pays des Songes les uns devaient apprendre à vivre avec les autres mais en fait et comme souvent, encore aujourd'hui, personne n'était vraiment content de son sort!

 

 

 

FOLIE D'UNE NUIT

PARFOIS VOUS SUIT

TOUTE UNE VIE.

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, septembre 2020.

© Stéphane BERTRAND.

 

 

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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