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Les Contes du Colvert
22 octobre 2016

L'ENFANT GUERRE.

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

 

 

03/NS

L'ENFANT  GUERRE.

Elle était là, dans les ruines, et rodait partout avec sa longue faux à la lame ensanglantée. Sa longue robe noire était blanchie en son bas, comme ses chaussures, par la poussière omniprésente qui émanait des amas de pierres, pans de murs détruits aux trois quarts, tôles ondulées partiellement calcinées et poteaux de bois encore fumants. Les armatures métalliques du béton mis bas par les obus dessinaient dans l'air lourd, sec et brûlant, des arabesques stupides implorant on ne sait quel dieu qui, de toutes les façons, ne viendrait pas.  Pas ici dans tous les cas, dans ce pays, dans cette ville, là où les hommes se battent contre d'autres hommes en Son nom et pour une idéologie tronquée. Seule la grande faucheuse était omniprésente cueillant ça et là la  vie d'un sniper tombé d'un toit, celle d'un soldat agonisant et même celle du dernier bourricot  encore debout dans cette maudite ville abandonnée de tous ses habitants. Ils étaient en fuite vers une paix qu'il leur sera impossible d'atteindre.

Pas tous cependant, car dans la cave d'un immeuble bas, tenant encore  debout par miracle, un jeune garçon était assis dans une semi-pénombre , les jambes repliées sous le menton, prisonnières de ses bras et la tête posée, menton sur les genoux. Il essayait de se reposer après une nuit percée de bruits assourdissants, ceux des bombes, des tirs d'obus et des mitrailleuses. Par contre, à cette heure-ci, quand le soleil ardant était près d'arriver au zénith, une sorte de trêve naturelle s'imposait aux combattants de tout bord. La chaleur, la soif et la fatigue, étaient communes à toutes les parties engagées. Et elles étaient  nombreuses pourtant et confuses, souvent ignorantes faisant abstraction de la réalité ou y tournant le dos, et chacun tirait à vue sur tout ce qui bougeait quitte à abattre l'un des leurs dont la mort passerait en dommages collatéraux. La vie ici n'avait  jamais eu de prix, une vie aujourd'hui ne valait pas la cartouche pour y mettre un terme. Par contre le couteau, la lame aiguisée tâchée de sang, lui,  peut se laver et resservir.

Osman était le nom de l'enfant abandonné. Il avait 12 ans. Vêtu d'un jean troué et d'un tee-shirt dont l'inscription " Shell gazoline" et le dessin de la coquille Saint Jacques étaient pâlis par le soleil et les nombreux lavages du temps où il avait encore une mère. Il avait l'estomac qui gargouillait de faim. Sachant qu'il ne risquait pas d'être atteint ni par une balle perdue ni par celle d'un tir visé à cette heure-ci, Osman sortit de sa cachette, grimpa sur un tas de gravats pour constater que la misérable boulangerie encore ouverte hier n'était plus qu'un monceau de cailloux brûlants. Il décida de s'y rendre quand même. Il rasa les murs, cherchant à l'ombre un semblant de sécurité et  la protection des rayons du soleil,  trouva sous quelques planches fumantes un vieux bout de pain séché et dur. Il  le mordit à pleines dents pour couper de petits morceaux qu'il fit fondre dans sa bouche avec le peu de salive qui lui restait. Un peu plus loin il aperçut un objet bleu entre deux pans de mur branlants. C'était une bassine en plastique, par chance en position horizontale, ou presque, avec un peu d'eau  au fond. Osman la but en pensant que la température de ce liquide brunâtre,  était plus près de celle d'une douche que d'un rafraîchissement. Mais avec cette chaleur il fallait absolument s'hydrater et même, avait-il entendu de la bouche d'un soldat, boire, en cas de besoin, sa propre urine pour ne pas se dessécher comme une plante et mourir de soif.

Les jours passèrent ainsi, chauds et les nuits fraîches aux  bruits de la guerre. Osman maigrissait et avait faim. Il repensa aux délicieux repas qu'il prenait à la maison avant qu'il ne se retrouva tout seul dans cette cave sous un petit immeuble branlant qui au moindre nouvel obus l'ensevelirait vivant. Ah! la semoule, l'agneau rôti, les tomates et les pois chiches... et le voilà debout encore une fois, pour aller chercher de quoi survivre. Lors de la trêve quotidienne des tirs il grimpa à son habitude sur une montagne de pierres, de gravats, de bois calciné. En faisant le tour avec ses yeux, 360°, comme un phare en bord de mer, il finit par apercevoir au loin une agitation inhabituelle. Scrutant l'horizon  avec attention, il lui sembla entrevoir, entre un léger voile de  poussière, des tentes blanches en nombre, comme un village de toile qui aurait poussé là, la veille ou la nuit précédente. "Etait-ce l'entrée du paradis ou tout simplement un endroit où je trouverais à boire et à manger ?" pensa Osman. Alors, et malgré sa faiblesse intense, il se mit en route, se trainant de son mieux  utilisant ses dernières forces, vers ce halo indistinct, vers cet endroit bien éloigné qui avait tout d'un mirage.

Peggy, infirmière au camp 047 d'une ONG américaine présente à cause du conflit armé qui s'y déroulait, construit en plein désert, à cheval sur une frontière rayée des cartes par les faits, s'arrêta un instant, pour reprendre son souffle, dans le récit qu'elle me faisait de l'histoire d'Osman. J'étais impatient de connaître la suite.

"Oui", me dit-elle, "il a réussi de se trainer  jusqu'ici, dans un état pitoyable, genoux et coudes à vif, plus mort que vivant, fiévreux, manquant d'eau mais nous l'avons sauvé. Et puis  tous, nous nous sommes pris d'affection pour ce jeune garçon. Il était choyé ici et pourtant un jour, le soir tombé, il est parti, seul et sans rien dire. Il faut dire que la veille il avait compris qu'il était orphelin. Sa mère, son frère et ses deux petites sœurs avaient été sauvagement assassinés et son père enrôlé de force pour  combattre au nom d'un idéal galvaudé, faussé et qui n'avait plus rien à voir avec une croyance fondée sur la réalité historique, puis tué au front lors d'une embuscade. Alors il est parti à la recherche de sa famille ne pouvant croire dans sa tête d'enfant à toutes ces horreurs. A la recherche de la vérité, de sa vérité."

"Est-il revenu par la suite ?" ai je demandé à Peggy. A ma question des larmes ont fait leur apparition aux coins de ses paupières. Ses yeux  pourtant  en avaient vu d'autres au cours de sa jeune et pleine vie passée sur des champs de batailles et dans les ruines des catastrophes naturelles.

"Oui", souffla-t-elle. "Trois hommes enturbannés et cagoulés sont arrivés un jour, ont débarqué de leur pick-up Ford un corps que je pensais être celui d'un blessé. Mais non, hélas c'était celui d'Osman! Ils l'ont jeté à mes pieds disant: " Tu l'aimais bien, alors occupe toi de lui jusqu'au bout !"

"Ils ont fait demi-tour, sont remontés dans leur véhicule et sont partis. Sans un regard en arrière, dans un épais nuage de poussière jaune déchiré seulement par leurs rires puis par des tirs de kalachnikov en l'air. Des tirs de joie pour ponctuer une nouvelle victime d'une guerre qui ne voulait plus rien dire. Surtout pas son nom pas plus que l'idéal au nom duquel ils sèment la terreur et la mort dans cette partie du globe.

 

 

PAIX = AMOUR ET BONHEUR,

GUERRE = HAINE ET MALHEUR.

 

 

 

"Le Colvert", Baudienville, septembre 2016.

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