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Les Contes du Colvert
17 septembre 2019

MIRAGES

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

                                              

 

 

N° 02L

 

 

MIRAGES.

 

 

La plus longue et la plus curieuse de mes promenades régulières dans les bois jouxtant ma maison, je l'ai faite cet après-midi. J'étais parti après déjeuner et ne suis rentré que tard dans la soirée. La lune tentait déjà de se frayer un chemin entre les cimes des sapins.

Plus tôt, je m'étais assis au pied d'un grand conifère sur ce qui me semblait être un bon coussin de mousse pour quelques minutes de repos. Contrairement à mon espoir, la mousse semblait pousser, se reposer, sur un sol dur et plat. En soulevant délicatement un coin de ce tapis vert, surprise, je suis tombé sur un livre très ancien,  de nombreuses fois feuilleté vu les traces sombres aux angles supérieurs des pages un peu jaunies. Malgré l'humidité ambiante il était sec comme il se doit. Les textes   n'avaient rien perdu de leur lisibilité et les couleurs des illustrations, de très belles enluminures, étaient toujours pimpantes.

Je me suis installé d'une façon aussi confortable que possible et j'ai commencé, à mon tour, de feuilleter ma trouvaille.

 

Et là, dès la première page ce fut le délire. L'auteur y montrait des chevaliers de Malte se battant contre une armée de va-nu-pieds. La poussière alentour, omniprésente, me fit tousser et mon armure me cisaillait l'entrejambe. Le bruit des cris et des râles des blessés était infernal ainsi que le cliquetis des armes. C'est à ce moment-là que j'ai reçu un coup de masse d'arme en plein poitrail. Je me suis retrouvé à terre, piétiné par les sabots des chevaux et l'infanterie qui progressait vers les positions ennemies. La douleur était grande et je sentais la perte de conscience arriver au galop. Dans un effort surhumain, j'ai pensé à refermer brutalement le livre que j'avais sur mes genoux. Et puis ce fut le trou noir.

A mon réveil j'ai éternué un nuage de poussière d'Orient et trouvé une dague, finement ciselée, avec la fameuse croix aux huit pointes, comme marque-page dans le livre. J'hésitais à continuer ma "lecture vivante" après cet événement combien inquiétant. Ma curiosité a, bien sûr, prise le dessus de mes doutes et angoisses.

 

Sur la deuxième page était représenté un merveilleux jardin et aussitôt j'entendais le bruit de mes pas sur le sentier gravillonné qui y menait. Le ciel était bleu, l'air embaumait de senteurs diverses et les buissons portaient des fleurs jamais vues  auparavant. Elles étaient de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel avec des tons irisés qui jouaient avec les rayons du soleil. Un véritable havre de paix, un jardin qui aurait plu à Monet. Les branches semblaient onduler pour me présenter de plus près leurs fleurs aux odeurs enivrantes. Au fur et à mesure que j'avançais le sentier se faisait de plus en plus étroit, envahi par ces belles plantes qui me caressaient le visage et bientôt le cou et très vite les bras, puis mon corps entier. Je croyais à un jeu  quand j'ai vu arriver de toutes parts des fleurs rouges sang dont les pétales dentelés étaient de véritables couteaux. Fleurs carnivores pensais-je sur le champ! J'ai eu beaucoup de mal à extraire la dague de ma ceinture et plus je tentais de couper les branches plus elles repoussaient pour essayer de me mordre et de faire de moi leur proie. Il m'a fallu un effort de dernière chance pour me dégager et courir, en sens inverse de ma venue, sur ce sentier qui menait aux enfers verts. Plus loin j'ai rempli mes poumons d'air frais et chassé ce jardin maudit de mes pensées.

En un clin d'œil je me suis retrouvé assis sur la mousse, le dos appuyé contre mon arbre. La dague, elle, s'était remise en place pour tourner une nouvelle page.

 

Un relais de poste, au nom prometteur d'une bonne nuit "Au bon sommeil" était dessiné sur la page de gauche. Puis je me suis rendu compte que ma banquette remuait beaucoup, elle me semblait dure aussi.  Les cris du cocher "Hue, hue, avancez  vieilles carnes" ponctués du claquement sec du fouet, rythmait le chemin de la diligence. Il y avait avec moi un vieux monsieur qui ronflait - dormir dans ces conditions était un mystère pour moi - un homme plus jeune et sa charmante épouse qui portait un grand chapeau à voilette surmonté de toutes sortes de fleurs et d'oiseaux. Après ce constat je me suis regardé aussi. J'étais en bottes qui enserraient mes pantalons et je portais en haut un beau pourpoint à brandebourgs dorés. J'avais ma coiffe de mousquetaire sur les genoux et mon épée sagement rangée le long de ma jambe gauche. Mais, étais-je au service de la reine ou du cardinal ? Je fus tiré de mes questions par plusieurs "Hooo, hooo, doucement mes belles! Nous voilà arrivés à l'auberge où nous allons souper et passer la nuit." Le dîner  fut bon et le vin servi en quantité par l'aubergiste, gouleyant à souhait. Les chambres étaient simples et le lit une simple paillasse ce qui n'empêchait pas les voyageurs de tomber dans un profond sommeil.Trop de vin et pourquoi pas drogué ? Je me suis assis sur la seule chaise disponible de la chambre, chandelle soufflée. Quelques heures plus tard je fus tiré de ma somnolence par des cris et le cliquetis de deux lames qui s'entrechoquaient. Aussitôt debout je  vis dans le couloir la jeune femme penchée sur son mari allongé au sol qui saignait beaucoup et mon voisin, le gros ronfleur, qui gigotait au bout d'une corde. L'aubergiste, détrousseur de voyageurs, et son commis allaient s'occuper de moi d'un moment à l'autre! Il était urgent de rentrer dans la danse. Epée en avant, je fonçais vers notre hôte indélicat et lui enfonçait ma lame jusqu'à la garde dans le ventre. Sans la retirer, je me précipitais dans les escaliers, trébuchais sur un autre corps et tombais quelques marches plus bas sur la tête. Plus rien!

Je me redressais perclus de douleurs contre mon arbre et en me passant la main sur la joue  je vis qu'elle était rouge de sang; belle estafilade ! Vite au ruisseau pas loin. J'ai repensé à l'auberge, faudrait qu'ils changent le nom, un mot à rajouter simplement, "éternel"!

 

La page suivante montrait une image chère à mon coeur.  Et aussitôt  je ressentais le léger tangage de la felouque, petit bateau à voile triangulaire, naviguant sur ce que je savais être le Nil. Le paysage n'était pas le même que celui admiré aux cours de mes voyages en Egypte au XX° siècle. Sur les berges les gens dressaient toutes sortes de décorations, des arcs de bambou enlacés de fleurs et ils répandaient à terre des tapis de pétales de roses multicolores. Les bœufs, tiraient de lourds chariots remplis d'enfants, et portaient entre leurs cornes de magnifiques bouquets d'hibiscus. Partout résonnaient des chants louant Pharaon et son épouse royale. Bientôt notre petite barque touchait la rive pour laisser toute la largeur du fleuve au bateau du roi. Pour mettre pied à terre il fallait faire bien attention de ne pas marcher sur un crocodile somnolant entre les roseaux. Et la barque royale parut au coude du Nil. Sur les berges la population, à genoux, louait roi et reine. "Vie éternelle à Ramsès et à Néfertiti son épouse! Vive Amon-Rê  dieu du soleil,  qu'il veille sur vos majestés!" Les cris de joie des sujets de Ramsès accompagnaient pendant longtemps encore le navire royal rejoignant Thèbes plus au nord. Le soir, la fête allait se poursuivre jusqu'au petit matin accompagnée de vin de palme et de plats délicieux, poulets et agneaux farcis à l'orange, poissons à la coriandre, concombres aux piments, salades à la grenade, dattes farcies, tuiles au sésame et tant d'autres merveilles gourmandes...Ma tête tournait légèrement. Je me suis endormi sur des tapis moelleux.

Quand j'ai ouvert un œil, j'étais à nouveau adossé à mon arbre entouré de noyaux de dattes et d'un peu de semoule! Mais quel voyage dans le temps...à environ mille cinq cent trente ans avant Jésus-Christ! Et cela uniquement en tournant une page de mon livre!

 

Plus je feuilletais mon nouveau livre, plus le tournis m'attaquait de toutes parts. Rouge était la couleur dominante de la page ouverte sous mes yeux. Une douleur très forte s'est immédiatement infiltrée dans mon corps. Mon lit était un vulgaire sac rempli de paille, sale et puant, posé sur deux planches. Les murs en grosses pierres apparentes suintaient de liquides malodorants. Pas de fenêtres, comme éclairage la lumière vacillante de quelques chandelles ne permettait pas de se situer au milieu d'un brouhaha infernal de grincements et de cris suppliant d'arrêter la douleur! En levant la tête aussi haut que mes chaînes, me retenant à mon grabat, le permettaient, la situation me sautait à l'esprit. La salle "d'hôpital" où je reposais jouxtait la salle des tortures, le tout probablement situé dans les sous-sols d'un vieux château. A côté les bourreaux torturaient et les torturés criaient. C'était dans l'ordre des choses. Mais que faisais-je ici ? Attaché de surplus. Mon heaume et mon plastron gisaient par terre avec mes gantelets, plus loin se trouvaient les cuissots de mon armure ainsi que mon sabre et ma lance au fanion bleu et or "fleur-de-lysée" aux couleurs du roi. Un bourreau venant boire un peu de vin répondait à mes questions: "Que veux tu espérer de mieux que des chaînes en attendant de passer entre mes mains après avoir tué en tournois équestre mon seigneur et maître, le duc Olivier de Baudionvillais des Marais ?" La peur m'a envahi...

Après, en reprenant mes esprits, je frissonnais contre mon arbre et autour de ma cheville droite je sentais bien la trace des quelques maillons de la chaîne qui me tenait encore prisonnier quelques instants plus tôt. La nuit commençait à tomber. Je remis soigneusement le livre là où je l'avais trouvé, puis, le cerveau chamboulé par toutes ces aventures, je pris le chemin de retour. Non sans dire "au revoir" à ce livre magique aux pouvoirs fabuleux et qui portait, en première page, cette mention:

 

 

TOUTE LECTURE COMMENCEE
 DOIT, SANS PAUSE, SE TERMINER.

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, novembre 2018.

© Stéphane Bertrand/mai 2019.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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