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Les Contes du Colvert
23 juillet 2021

MEGAPÔLE

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 24

 

 

MEGAPOLE

 

 

 

C'était une de ces grandes villes surpeuplée et de tous les extrêmes. Une agglomération comptant plusieurs millions d'habitants où les ouvriers  ayant un emploi et les plus riches vivaient au soleil au-dessus des sous-sols de la ville. Surnommés "Le gruyère", ceux-ci comptaient plus de citoyens à l'ombre qu'à la lumière du jour. Entre les tunnels du métropolitain, les routes et rues pour éviter les carrefours et les conduits pour apporter l'eau et l'électricité et ceux pour évacuer les eaux usagées, sans même évoquer les égouts à l'odeur pestilentielle,  le surnom de ce monde souterrain lui allait bien.

 

Sous le croisement de la 123 ième rue et la 124 ième, plusieurs étages plus bas, dans une misérable cahute faite de planches et de cartons usagés, vivait un couple très pauvre qui avait une petite fille emmaillotée dans des draps sales  et un vieux caddie rouillé comme berceau. Amy, c'était son nom, dit-on, dormait et pleurait là. Elle dormait peu et pleurait beaucoup, surtout de faim. La seule lumière qui arrivait dans cet enfer était celle d'une grille de bouche d'égout à la surface qui  laissait filtrer quelques rayons tristes. C'est aussi par ce chemin que leur arrivait un peu de nourriture, un quignon de pain trop dur, un reste de salade jeté par un passant ou le surplus d'un repas pris pendant la pause du déjeuner encore dans son emballage. Et même ces quelques croûtons il fallait les disputer aux rats aussi affamés qu'Amy et ses parents.

 

L'odeur nauséabonde qui régnait en maître dans ce monde oublié n'incommodait plus ceux qui y séjournaient parce que  refugiés là par nécessité de la vie depuis des années ou de naissance sur place. Amy faisait partie de ces derniers et n'avait jamais connu ou  vu ne serait-ce qu'un mètre carré d'en haut, dans une rue, sous le soleil ou la pluie. Malheureusement ils étaient très nombreux dans ce cas et parfaitement ignorés des autorités de la ville, vivants eux à l'air libre, avec une inattention constamment remise aux oubliettes de cette cour des miracles moderne sous leurs pieds.

 

Amy, qui avait atteint son quinzième anniversaire, sans gâteau ni bougies, était anorexique et ne pesait, à vue d'œil, qu'une vingtaine de kilogrammes. Le bruit  assourdissant qui arrivait par moments et semblait durer longtemps suivi de longues périodes de silence sans plus la moindre luminosité avait aiguisé sa curiosité. Elle ressentait en elle la certitude qu'il y avait une autre vie que celle de ses parents et la sienne, là-haut, loin de cette misère sous le bitume des rues et avenues, dans un monde encore inconnu. Il fallait qu'elle sache. Il fallait qu'elle puisse atteindre la surface. Il fallait qu'elle découvre l'autre monde dont lui avaient parlé ses parents en pleurant. Regrets d'un côté, obsession de savoir de l'autre! Un jour elle monterait par ces marches en fer, scellées à quarante centimètres, l'une de l'autre, dans ce mur vertigineux à la recherche de la sortie de ce tunnel vertical.

 

Elle était à peu près à mi-chemin de son ascension lorsqu'elle  faillit tomber. Les forces d'Amy la trahissaient. Elle avait mal aux bras, aux jambes, faim aussi, son corps menu n'avait jamais dû livrer un exercice physique semblable. Très courageuse, elle fit une petite halte sans regarder derrière elle et surtout pas vers le bas. "Mon but est là haut, il faut que j'y arrive !" pensa-t-elle en redoublant d'efforts. Et Amy arriva tout près de la sortie  bloquée par une lourde grille d'acier. Elle s'y agrippa de ses deux petites mains sales et cria aussi fort que possible.

 

Elle s'égosillait et perdait courage, si près du but... quand enfin elle sentit qu'on lui prenait les mains comme pour soulager ses forces sur le point de l'abandonner. "Mais qui donc t'a enfermée dans les égouts ? Tiens bon nous allons te sortir de là!"  La voix était chaleureuse et il semblait à Amy que c'était une femme qui lui parlait, l'encourageait et la tenait fermement par les poignets. Puis tout alla très vite. La sirène hurlante s'arrêta mais une lumière  bleue continuait à balayer la scène par intermittence. Grille légèrement soulevée, corde enroulée à hauteur de sa taille, encouragements de toutes sortes, des mains partout sur son petit corps, des exclamations du genre "Mais qu'elle est sale, mais qu'elle est maigre, pauvre gamine, etc." Et puis le néant de l'épuisement total ...

 

Amy se réveilla d'un lourd sommeil, quarante huit heures plus tard. En ouvrant les yeux, elle fut éblouie par une source lumineuse et les referma de suite. Puis elle tâta sa couche, douce et sentant bon. Mais impossible de remuer son bras gauche relié par une aiguille et un long tuyau transparent au goulot d'un flacon, transparent lui aussi, suspendu à un crochet au dessus de son lit. Un lit? Je ne connais pas, se dit-elle tout en écoutant des explications concernant des objets qu'elle découvrait pour la première fois. La voix était douce, chaleureuse. Amy pensa que c'était la même qu'elle avait entendue lorsqu'elle était encore accrochée à la grille, mais toujours du mauvais côté, au dessus de l'enfer et sous ce qu'elle pensait être le paradis!

 

Lentement, très doucement Amy rouvrit les yeux. La lumière n'était plus qu'un halo apaisant.  La vieille dame se penchait sur elle, continuant à lui parler de son sauvetage, pompiers et policiers, ambulance, hôpital, examens par des médecins et infirmières,  mise sous sérum nourrissant, pour enfin se retrouver dans cette chambre confortable. Amy n'y comprenait pas grand'chose et tenta de se remémorer ce que ses parents  lui  avaient dit concernant leur vie d'avant en surface.

 

La vieille dame expliqua à Amy qu'à l'arrivée à l'hôpital, après être passée entre les mains d'un médecin, le personnel de service l'avait lavée de la tête aux pieds, shampooing parfumé, savon à l'huile d'olive odorante, séchée et coiffée et emmitouflée dans une sortie de bain douillette avant de la coucher. Amy se palpa un peu et en tâtant sentit qu'elle avait une peau beaucoup plus douce qu'avant. Elle sentait bon. Elle vivait un rêve et se laissa aller dans une agréable somnolence. Amy pensa aussi à ses parents, les sous-sols immondes, les voleurs et les assassins, les fous, les vieux qui mouraient sans aucune aide en râlant, les rats... et se rendormit. La vieille dame souriait et resta avec elle jusqu'à l'heure du repas. Là encore, tout était nouveau pour Amy: assiettes, bols, verre, un repas comme elle n'aurait pas pu imaginer et de l'eau fraîche et transparente, délicieuse, sans détritus indéfinis ni poils de rats, ni mouches mortes...

 

Amy est restée plus d'un mois dans son lit douillet qu'elle avait du mal à quitter, le changement avait été trop brutal avec les conditions de vie sous terre. Elle avait suivi un régime alimentaire spécial pour reprendre des forces et grossir un peu. Un jour un médecin lui demanda qui et où étaient ses parents? Elle mentit par honte et de peur disant qu'elle n'en avait pas, tout en pensant, qu'elle irait les chercher bientôt. Comment? Elle verrait cela plus tard. Vint ensuite la question qui allait payer son séjour? Amy ne savait même pas ce que cela voulait dire, payer ? c'est quoi ?  Elle s'en ouvrit à la vieille dame qui lui fit  comprendre de pas s'inquiéter, elle allait régler tout cela en un clin d'œil!

 

 La veille dame vint la voir tous les jours le matin et l'après-midi et gâtait la jeune fille par des cadeaux quotidiens, une jolie robe fleurie, des jeans de marque, des tee-shirts décorés et des dessous en fine dentelle de couleur pâle. Amy s'extasiait à chaque fois, jamais elle n'avait vu ni imaginé que cela faisait partie de la vie "d'en haut".

 

Le jour de son départ de l'hôpital elle rangea ses affaires dans un beau sac offert par son ange gardien, la vieille dame qui lui avait aussi appris à lire et à écrire en peu de temps en lui caressant le front, comme pas miracle. Devant la grande porte de l'hôpital elle vit la vieille dame qui lui faisait signe de la main par la vitre arrière d'une très grande limousine. Un monsieur à casquette vint lui prendre son sac pour le mettre dans le coffre de la voiture - voiture? encore une nouvelle découverte et invita la jeune fille à s'installer auprès de sa patronne lui tenant la portière ouverte. Puis le véhicule se mit à avancer, encore une autre surprise pour Amy qui finalement trouva ce déplacement très agréable.

 

La dame, "sa dame", d'un simple geste fit s'ouvrir la lourde grille qui se referma automatiquement après leur passage. La voiture roulait maintenant dans un long chemin boisé et arriva peu de temps après devant une grande maison où valets et servantes les attendaient en bas du perron. Le chauffeur à casquette vint ouvrir la porte du véhicule et pria la vieille dame et Amy de descendre. Une jeune femme à tablier blanc, au beau sourire, avait pris le sac de la jeune fille et pria Amy de la suivre. "Va avec Elsa, elle va te conduire à ta chambre et sera à ta disposition vingt-quatre heures par jour; nous nous reverrons à l'heure du dîner!"  lui dit la vieille dame avant de disparaître derrière une porte de bois sculptée.

 

La chambre était somptueuse, jamais Amy n'aurait imaginé une pièce comme celle-ci et encore moins qu'elle était à sa disposition, à elle toute seule! La salle de bains n'avait rien à envier à la chambre et elle demanda timidement si elle pouvait prendre un bain. Elsa fit couler l'eau chaude, aida la jeune fille à se déshabiller et poussa sa bonté jusqu'à lui frotter le dos avec des onguents aux senteurs exotiques. Amy était aux anges! Dans son armoire elle trouva un trousseau complet, une douzaine de robes les unes plus jolies que les autres et tout ce dont une jeune fille de son âge pouvait rêver y compris une boîte à bijoux bien garnie. Sa servante lui conseilla quoi  porter pour le repas du soir. Amy était ravissante et n'arrêtait pas de tourner sur elle même devant le grand miroir de sa chambre.

 

"Toc, toc, toc! Puis-je entrer" demanda la vieille dame, elle aussi vêtue pour le dîner. "Ah! comme tu es belle et comme tu sens bon" s'exclama-t-elle  et en se retournant: "Cela manque de fleurs ici!" Un geste et plusieurs vases joliment garnis de fleurs toutes fraîches firent leur apparition. "Holà, mais je me suis trahie" dit-elle regardant Amy qui n'en croyait pas ses yeux! "Et oui ma chérie, je suis en réalité une vieille fée toujours bienfaisante. Je suis surtout contente de t'avoir entendue crier et d'avoir maintenant le bonheur de te faire une belle vie qui te manquait tant dans les sous-sols de la ville." Amy se jeta dans les bras de "sa" fée qui l'étreignit très fort, avec tout son amour. Elle lui promit aussi de garder ce secret pour elle car elle était curieuse d'en apprendre plus comme la vieille dame lui avait promis au cours d'une longue et passionnante conversation entre elles deux après dîner.

 

Quelques jours plus tard Amy, assise sur le perron de la maison, en train de lire "Comment devenir une fée bienfaisante", vit ses parents descendre de la voiture, bien habillés tous deux et sa maman joliment coiffée. Elle courut se jeter dans leurs bras alors que la vieille fée lui expliqua qu'elle avait été les chercher là-bas, en bas, qu'ils avaient passé un mois à l'hôpital à se réhabituer à la surface et à se faire soigner. Amy garda sa chambre dans la grande maison et ses parents furent logés dans une jolie maison des dépendances de la propriété. Ils avaient aussi une jeune femme pour les aider et combler tous leurs besoins et satisfaire d'autres désirs.

 

La vie d'Amy et ses parents était belle, tous trois ne manquaient de rien. La jeune fille suivit des cours d'un professeur privé, ses parents allaient se rendre utiles par-ci par-là, heureux de revoir le soleil et aussi la pluie. Le soir, "sa" vieille dame et fée, rejoignait Amy dans un petit bureau secret et lui transmettait tout ce qu'elle devait savoir afin de devenir une bonne fée bienfaisante. Ces connaissances, bien entendu, Amy devait les protéger et pourrait,  bien plus tard, les transmettre à une de ses filles lorsqu'elle serait maman à son tour.

 

Mais  trouver le prince charmant et avoir beaucoup d'enfants qui ne connaitraient jamais ce qu'elle avait vécu, tout ceci est une autre histoire!

 

 

 

 

QUITTER LES MAUVAIS LIEUX

POUR S'ELEVER ET TROUVER MIEUX,

IL FAUT LE FAIRE AVANT D'ÊTRE VIEUX.

 

 

 

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, en confinement pour le Coronavirus, Avril 2020.

© Stéphane Bertrand / Mai 2020.

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