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Les Contes du Colvert
16 janvier 2017

UN SQUAT FANTOME.

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

N° 07/NS

UN SQUAT FANTÔME

 

Dans le comté de Northhemingway il y avait, il y a fort longtemps, un château à quatre tourelles au milieu d'un très grand champ où l'herbe folle se donnait du bon temps. Les arbres proches étaient plusieurs fois centenaires et formaient des remparts naturels plus difficiles à franchir qu'un haut et épais mur de pierres. De ces tours, aux toits crénèles, il n'en restait que deux debout qui encadraient le seul côté de cette demeure encore habitée. Le pendant n'était que ruines majestueuses qui, malgré le lierre, qui les avait prises d'assaut et leur délabrement, étaient toujours impressionnantes. Le maître des lieux était un vieux lord, dernier descendant d'une longue lignée de nobles chevaliers, tous morts, embrochés au cours de combats terribles, en une lointaine  terre dite sainte.  Lord Stanislas-Geoffrey, duc de Northhemingway, vivait seul dans la partie du château qui tenait, miraculeusement, encore debout.

Pas de domestiques, pas de carrosse attelé de quatre chevaux pour faire les courses mais un vieux fantôme surnommé "Esprit Serveur" pour servir le duc. Il  avait accepté cette place qui lui éviterait de s'en faire une autre dans d'autres ruines. C'était il y a des lustres, à la mort de sa moitié, âgée de quatre siècles, quatre-vingt quinze ans, onze mois et 17 jours au moment de son décès, plus exactement de sa disparition définitive, diluée dans l'air environnant comme une fumée légère voletant au gré de la brise.

L'habitude aidant, "E.S." servait son lord, qui l'hébergeait gracieusement, tous les jours du petit déjeuner au dîner sans oublier son "five o'clock tea" accompagné de quelques biscuits secs au thym. Tout cela se faisait très naturellement, en silence. En effet un vœu suffisait pour faire apparaître le  nécessaire sur la table du salon, naguère réservée à des réceptions somptueuses, ou  sur la table à thé dans la bibliothèque.

Cette vie réglée, tout à fait ordinaire et calme, qui leur convenait à merveille, se poursuivait depuis des années jusqu'au jour où une intrusion intempestive, genre "Poltergeists", bouleversa ce qui, jusque là, avait suivi des lignes aussi régulières que celles d'une partition musicale classique.

De jeunes fantômes, au nombre de cinq, qui n'avaient pas encore faits leurs preuves puisqu'âgés seulement d'un siècle et quelques années avaient au cours d'une escapade nocturne aperçu  le château du Duc de Northhemingway et avaient décidé d'y passer la journée suivante à se reposer en espérant y trouver une bonne et pleine cave pour la fête qu'ils comptaient faire la nuit suivante.

Ils ont tout chamboulé, renversant tout sur leur passage, cassant les quelques vitres encore en place, décrochant les vieux rideaux pour s'en faire une cape, riant, brûlant des livres rares très vieux, chantant, buvant toutes les nuits et cuvant leur vin le jour. La vie au domaine était devenu insupportable car ces jeunes voyous s'y plaisaient et avaient décidé de le squatter, en  toute simplicité et sans demander avis à qui que ce soit. Aussi Lord Stanislas-Geoffrey et son fidèle serviteur fantôme "E.-S." décidèrent de se réunir en conseil de guerre. Il fallait absolument trouver un moyen d'expulser cette joyeuse mais bruyante bande.

 A  l'heure du thé, qui se devait, tradition exige, d'être un moment très calme dans la vie quotidienne du château, les cinq esprits se faufilaient dans les coins et recoins de la bibliothèque pour jeter des cailloux, ramassés dehors, dans la tasse, éclaboussant ainsi le gilet du duc. Intolérable! Et ce n'était pas là la pire des bêtises. Lits en portefeuille, eau froide coulant du robinet d'eau chaude, bougies tout à coup éteintes comme le feu de la cheminée, des piles d'anciennes assiettes portant en monogramme les armes du duc, tombant à terre et se cassant en mille morceaux, le dentifrice du Lord remplacé par un tube de mayonnaise, le "roastbeef" servi saignant, les fleurs du jardin taillées hors saison, etc. etc. Tout cela était monnaie courante et devait cesser! Et quelle idée de faire des batailles de citrouilles chaque année le 31 octobre ? "Shocking" !

"E.-S." proposa à son maître d'utiliser une bombe à faire pleurer, les squatteurs n'en étaient que plus hilares que d'habitude. Le duc décrocha une nuit son fusil, "pan", les fantômes indésirables n'étaient plus que couverts de haillons et refusèrent donc de s'en aller dehors en cette saison sous prétexte qu'ils auraient froids ainsi vêtus uniquement avec des trous!

Il fallait absolument trouver un autre moyen pour les faire déguerpir.  "E.-S." avec son vieil esprit inventif et qui en avait vu d'autres au cours des siècles passés, prit contact avec la colonie d'araignées vivant dans les ruines de l'ancienne tour est du château. Le conciabule durait depuis déjà quelques jours quand Lord Stanislas-Geoffrey commença à trouver le temps long, que son estomac gargouillait de famine et que l'eau du thé était froide, qu'il n'y avait plus une goutte de whisky écossais dans le flacon de cristal incrusté d'argent et d'étain.

Enfin le  fantôme  très âgé et serviteur fidèle redescendit de la tour, prépara avant toute chose à boire et à manger à son maître. Quand ce dernier eut englouti forces verres de scotch et un demi faisan aux champignons des bois alentour, et sa part de pudding sauce menthe, il lui fit le compte-rendu de l'accord qu'il avait signé avec ses copines les araignées. Pour conclure il dit: "Tout ce que nous avons à faire la nuit tombée c'est de nous installer confortablement au salon, attendre et regarder!"

Ce qui fut fait. Le Duc n'avait pris qu'une toute petite bougie pour ne pas effrayer par la lumière les joyeux mais envahissants fantômes squatteurs.

Peu après que la nuit noire, accompagnée de sa lune blanche et blafarde eut remplacé la lumière du jour, les bruits de casseroles entrechoquées et de verres brisés sur des dalles centenaires se firent entendre, comme tous les soirs et toutes les nuits précédents couvrant même les croassements sinistres des corbeaux. Et les voilà qui arrivent au salon, une bouteille de bon vin millésimé 1874 à la main et déjà un peu ivres. En tentant de s'approcher du Duc et de son fantôme serviteur, traître à la fratrie des esprits, ils furent  tous les cinq pris dans un filet collant, gluant, et aux mailles petites mais oh combien solides tombé du plafond. "Aie! Eh! Quoi?  Ca colle!  Berck!" fusèrent  des trous noirs leur servant de bouches. Les araignées applaudirent leur travail des huit pattes. Le Duc et son fidèle serviteur lui servant d'interprète auprès des prisonniers leur firent remarquer que compte tenu du peu de discrétion dont ils faisaient preuve et la quantité de vin engloutie depuis leur arrivée, la cave avait diminué de moitié, sans parler des autres dégâts commis, et que donc ils n'étaient plus les bienvenus! Le choix leur fut laissé entre disparaître avec le filet qui les entourait six mètres sous terre serrés les uns contre les autres pour quatre ou cinq éternités ou de partir immédiatement avec des bracelets électroniques autour du cou. C'est cette dernière solution que choisirent les cinq jeunes fantômes inexpérimentés.  Depuis, dans les forêts profondes du comté de Northhemingway, on entend des râles, des soupirs et des plaintes émanant de gorges rocailleuses enserrées qui font encore plus peur aux rares passants que de croiser un esprit habillé d'un drap blanc.

Avec l'enjolivement des récits de ceux qui auront vécu cette terrible rencontre, d'autres légendes naîtront  au cours des siècles à venir pour le plus grand bonheur des conteurs de notre belle planète bleue.

 

 

MAISON VENTEE ?

MAISON HANTEE !

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, Janvier 2017.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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