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Les Contes du Colvert
22 mai 2017

MEDUSA

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

 

N°14NS

 

MEDUSA.

 

 

Sémillante et ravissante à la fois, Médusa au port de tête altier,  faisait se retourner hommes et femmes sur son passage  quant elle marchait dans la rue. Lorsqu'un passant la dévisageait avec trop d'insistance et qu'elle lui rendait son regard celui-ci  se trouvait immédiatement pétrifié, statufié sur place. Les rues de la ville étaient ainsi décorées avec des statues très naturelles presque vivantes qui faisaient la fierté du maire. Face à la notoriété nationale et internationale de la ville-musée, les disparitions signalées et non élucidées de diverses personnes, ne pesaient pas lourd dans la balance. Le conseil municipal louait le sculpteur inconnu pour ses œuvres et le considérait comme un mécène de l'art de la rue.  Un bienfaiteur de la ville. Médusa finit par s'acheter une paire de lunettes de soleil.

Grande, à la silhouette élancée, Médusa avait une chevelure ondulante où les tons auburn et vert bouteille dominaient. Tous avaient vraiment une envie folle de lui passer la main dans les cheveux quand on la croisait. Un jeune homme s'y était aventuré. Mal lui en prit, il tomba sur le champ, mort  dans le caniveau. Tout le monde l'ignorait, mais les cheveux de Médusa étaient en vérité un nid de serpents venimeux. Ceux-ci, la nuit venue, trouvaient refuge à l'intérieur de son crane et le matin réapparaissaient et se laissaient coiffer comme une chevelure normale.

Médusa était en fait un membre de la race des gorgones, race mal-aimée, qui ne se nourrissaient que de sang. Ceci, tous les habitants de la ville l'ignoraient. Elle ne faisait ses courses que chez le charcutier de la Grand 'rue pour se ravitailler en boudin noir frais. Dans la rue elle entamait son achat comme un gamin qui, sortant de la boulangerie, croquait dans le quignon tout frais et encore chaud de sa baguette de pain.

Les jours de fermeture de la charcuterie, Médusa partait en chasse, toujours avec un sourire éclatant, avide de sang frais. Un chien errant faisait parfois l'affaire. Mais elle préférait nettement ce bon liquide rouge grenat qui coulait dans les veines des jeunes enfants! Oh, elle ne les faisait pas souffrir contrairement à ce que l'on pourrait penser car, à sa première morsure, le venin émis par ses canines anesthésiait instantanément sa victime. Après elle buvait et aspirait jusqu'à la dernière goutte ce liquide épais tant convoité. Repue elle enterrait ensuite les corps vidés de leur jus  vital au fond de son jardin. Sur la tombe des restes de ses repas elle plantait de jolies fleurs à floraison permanente.

La vie de cette petite ville continuait ainsi avec moins de nouvelles statues pour orner les trottoirs du centre du bourg mais une augmentation de la disparition d'enfants, en très nette progression, pendant les congés du charcutier et de sa femme. La population devenait de plus en plus inquiète et s'enfermait jour et nuit à double tour. Les parcs étaient vidés de leurs promeneurs et on n'entendait plus le moindre cri d'enfant dans les rues. Le commandant de gendarmerie retournait tous ces faits en tous sens sans arriver à démêler cet écheveau de mystères. L'affaire monta plus haut et le ministre responsable envoya des renforts et décida de faire fouiller toutes les habitations, entrepôts et hangars, sans oublier les parcs publics et les jardins particuliers.

Et arriva le jour où gendarmes et ouvriers se présentèrent devant la maison de Médusa. Ils furent accueillis par un sourire aux dents étincelants. "Ah, non, ce ne peut être cette jolie jeune femme qui commet des crimes aussi abominables" se dirent les membres des forces de l'ordre. Et pourtant ! Surprise! Rien dans la maison mais dans le jardins les monticules de terre joliment fleuris attirèrent leur attention. Les ouvriers commencèrent à creuser et ne tardèrent pas à retrouver de jeunes corps dont certains n'étaient pas encore décomposés. Un peu plus loin, c'étaient des ossements blanchis d'enfants qui furent trouvés et de chiens aussi.

Médusa fut immédiatement interpellée. En lui passant les menottes un gendarme fut statufié sur place en la regardant dans les yeux. Un autre tomba mort, il avait frôlé de sa main la chevelure de la jeune femme.

"Mais vous êtes un monstre dangereux" lui dit le commandant des gendarmes, "Vous méritez la prison à vie, vous êtes sans pitié et sans coeur!"  Et c'était vrai, n'ayant pas de coeur Médusa ne savait pas ce qu'étaient regrets, pitié ou amour. Tout sentiment humain lui était étranger. Elle avait du mal à concevoir que ces enfants qu'elle avait vidés de leur sang pouvaient manquer à leurs parents sans parler des quelques chiens qui avaient subi le même sort.

Médusa demanda la parole. "Je suis désolée si j'ai fait du mal. Je suis née gorgone, c'est à dire d'un œuf noir couvé par une vipère dans les marais. Je n'ai pas de coeur et mon cerveau est imperméable à tout sentiment, amour, peur, pitié. Alors accompagnez-moi au jardin et je réparerai ce que vous qualifiez de mal."

Tous ensemble, derrière Médusa,  s'y rendirent. Elle s'arrêta devant les petites tombes des enfants et des chiens, étendit ses mains toujours menottées et murmura quelques paroles indistinctes pour les participants. Aussitôt les mottes de terre se mirent à trembler, remuer et se soulever. Les chiens, en jappant, furent les premiers à apparaître, puis vinrent les enfants, roses et propres en aussi bonne santé que le jour de leur disparition.

Ce fut un cri de joie unanime et des retrouvailles remplies d'un immense bonheur! Quelles émotions!

Quant à Médusa, elle avait disparu. Hop, comme une bulle d'air s'élevant au dessus des cimes des arbres. Seul restait au sol son bracelet métallique toujours verrouillé que lui avaient passé les gendarmes. Quand ceux-ci, une fois enfants et chiens rendus à leurs parents et propriétaires, retournèrent en ville, toutes les statues des rues avaient disparues laissant la place à des passants ébahis ne sachant plus très bien ce qu'ils faisaient là ni pourquoi, ni quel jour on était.

La vie ordinaire a repris dans le bourg avec quelques touristes en moins car il n'y avait plus rien à voir et surtout pas de statues nouvelles dans les rues.  Le maire ne fut pas réélu pour manque  d'animations et de décorations dans le centre ville. Les hommes ne se retournaient plus lorsqu'ils croisaient une jolie fille. Pas question non plus de la dévisager. Les passants  se déplaçaient tête baissée ce qui leur évitait... de marcher dans une crotte de chien!

 

Le bonheur de l'un n'est pas toujours celui de l'autre.

Le malheur de l'un devient souvent aussi celui de l'autre.

 

 

Le Colvert, Baudienville, Mai 2017.

 

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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