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Les Contes du Colvert
11 juillet 2020

LE TRESOR

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° 12L

 

 

LE TRESOR.

 

 

 

Aloïs, quatorze ans, était le fils aîné d'Alexandre. Ce dernier était, comme tous les descendants mâles de la famille, frappeur de monnaie. Le plus lointain des ancêtres sur son arbre généalogique  exerçait déjà ce métier dans la chaleur des forges au temps des Romains. Il frappait, estampait sur l'enclume, pièces rondes, ovales, octogonales voire triangulaires à l'effigie de l'empereur, en cuivre, bronze, argent ou or. Le plus difficile à cette époque, comme encore aujourd'hui,  était de trouver le juste équilibre entre le coût du métal utilisé et la valeur faciale à frapper sur le revers de la pièce!

 

Ce garçon studieux, élevé entre sesterces, roupies, livres ou francs, s'était familiarisé avec toutes les monnaies du globe et, bien sûr, les collectionnait avec un grand sérieux. Un jour qu'il aidait ses petits frères et soeurs à construire un château de sable sur la plage, il sentit sous ses doigts comme une cordelette. Il tira plus fort et exhuma une belle bourse en cuir très souple, à la couleur passée par le temps et l'humidité, mais prometteuse de par son ventre rebondi.

 

Quand Aloïs eut extrait du sable humide cette trouvaille, il n'eut de cesse que de  faire céder le cordon et toutes les pièces contenues dans cette bourse tombèrent à terre en un tas où l'or, le  nickel et le cuivre dominaient. Un trésor pensa le garçon! Les sous aussitôt libérés de leur prison se mirent en rond et sautillèrent joyeusement comme une ronde d'enfants à l'école maternelle. Le garçon, non sans mal, réussit à en attraper une, petite et cuivrée, gravée d'un kangourou. Est-ce l'animal à poche ou le métal qui débuta un long discours sur ses origines ? "Oui tu as deviné, je viens d'une très grande île qui s'appelle l'Australie. Frappée en cuivre mélangé à un peu d'or on me nomme "Penny". J'avais la valeur de quelques légumes mais finissait le plus souvent en pourboire après que mon propriétaire du moment eut réglé son verre de vin blanc dans un estaminet pas très bien fréquenté. Ah non, je n'ai pas connu les aborigènes, j'ai été frappée quelques siècles plus tard! Voilà, es-tu content ?

 

"Oh, oui", répondit Aloïs, "Mais par quel miracle connais-tu ma langue ?"

 

"Tu sais, toutes ensemble, très serrées les unes contre les autres, nous nous ennuyions ferme. Alors nous avons commencé par échanger quelques mots entre nous. Cela a été très difficile au début compte tenu de nos différentes nationalités et cultures. Celles en or ne voulaient pas échanger avec celles en cuivre, celles faites d'un alliage de plusieurs métaux étaient considérées comme des bâtardes. Mais, maintenant nous sommes toutes copines, multilingues et parlons au moins douze à quinze langues ou dialectes chacune !"

 

" Waouh! Attends, je te repose et vais discuter un peu avec une autre de tes amies. Ne te sauve pas !"

 

"Tiens toi, viens entre mes doigts".C'était un petite pièce en bronze représentant un monsieur très sérieux et barbu. Pièce petite d'un "cent" pour un grand président qui a dirigé son pays à la pire période de son histoire, la guerre de Sécession. Lee et Grant étaient les plus fameux généraux de l'époque! Il était le seizième président du pays et peut inscrire à son tableau d'honneur l'abolition de l'esclavage et pourtant il fut assassiné en 1865. Le pays: les U.S.A. Il s'appelait Abraham Lincoln et fit deux mandats avant sa triste fin! "Et moi le cent en bronze j'étais dans sa bourse avant de tomber à terre et être ramassé bien plus tard par un homme noir qui me refila à son marchand de rhum blanc!"

 

Une petite pièce d'argent, frappée d'un motif de chasse, sauta dans la main d'Aloïs. "Et moi, moi aussi je fais, comme mes collègues, partie d'un pourboire. Je vaux vingt "Tengés" et je viens d'un pays de l'est européen, le Kazakhstan! Tu sais, ce pays qui est entouré par l'Ouzbékistan, le Turkménistan, et encore le Tadjikistan et plus au sud l'Afghanistan... Tous ces pays étaient réunis il y a fort longtemps. Des montagnes et des steppes à perte de vue où l'horizon se confondait avec le ciel. C'était un  domaine qui s'étendait jusqu'en Chine du temps de Gengis Khan. C'est même d'une de ses poches que je suis tombée au cours d'une partie de chasse à l'aigle. Le soldat qui m'a ramassée, plus tard, m'a donnée comme récompense à une jeune fille qui lui avait servi à boire!"

 

Aloïs n'en revenait pas de toutes ces histoire qui se passaient dans des pays lointains dont il avait entendu parler, certes, mais tenir en main une pièce de monnaie si vieille et en plus bavarde, lui donna un peu le tournis. Tout était rond, la piécette, sa tête, la terre! Mais pas le temps de prendre une pause. A la suivante! Cinquante "Hwans" était l'inscription sur son revers, et côté avers, il pouvait voir un navire-tortue, emblème monétaire des pays de Corée d'alors.

 

"Moi je viens aussi de loin, tu vois je suis un "Sol". Sur mon côté droit tu peux voir frappé un ours des Andes. Ce sont des montagnes très hautes et sur l'une d'elles il y avait le royaume de Cuzco, les habitants étaient des Incas et j'existe depuis 1438. Moi aussi j'ai été donnée, comme toutes mes copines de cette bourse, soit en pourboire soit au temple des sacrifices humains ou encore à une vieille mendiante sale et édentée!" Aloïs se souvint tout à coup qu'un des dirigeants du Pérou avait donné son nom à l'unité monétaire frappée sous son règne. Il s'appelait Simon Bolivar et les sous des "Bolivars", mais cela, c'est de l'histoire récente.

 

Et ainsi de suite! Toutes voulaient être caressées et admirées, passer un moment chaud et agréable dans la main , entre les doigts, du garçon. "Moi je suis un "Rand" et je porte la tête de Nelson Mandela qui mit fin à l'apartheid en Afrique du Sud. Il m'a laissé sur "Table Mountain" comme "pour le service" lors d'un déjeuner avec des autres géants! Sorti de cette bourse, il y avait un "Dinar" de Jordanie, un "Rial" du Yémen ainsi qu'un "Ariary" malgache mélangés à un "Dong" du Vietnam, un "Escudo" des Îles de Cap Vert, un "Birr" d'Ethiopie et un "Dobra" de Sao Tomé et Principe. Se bousculaient ensuite un "Kwacha" du Malawi et un "Lari" originaire de Géorgie avec un "Yuan" chinois, des "Rials", "Dinars" et "Livres" du Moyen-Orient, une "Roupie" indienne et le "Rutiyaa" des Maldives...Et puis un petit "Kopek" avec gravé sur lui la tête de Pierre-le-Grand! Presque toutes portaient l'effigie d'un monarque ou d'un prince de sang, plus rares étaient celles mettant à l'honneur des batailles, des animaux, des scènes de chasse ou un monument national.

 

Et tout au fond de la bourse, deux pièces brillantes  qui avaient tardé à en sortir, un "Ecu" frappé sous Saint-Louis et un "Louis" du XIV° de ce nom, d'une valeur faciale de vingt francs, toutes deux en or et, caché entre elles deux, un troisième larron d'or, une "Livre" d'Egypte montrant sur son avers le pharaon Ramsès II sur son char à deux roues allant guerroyer quelque part en Syrie aux environs de l'an 1275 avant J.C.

 

Restait pour Aloïs encore un mystère! Comment tant de pièces de monnaie, vieilles ou plus récentes, de tant de pays différents, très éloignés les uns des autres, pouvaient-elles se retrouver dans une seule bourse, donc appartenir à un seul  propriétaire?  Il décida de réunir toutes les monnaies éparpillées autour de lui et puisqu'elles savaient s'exprimer dans sa langue il devait bien en avoir une pour le renseigner ou le mettre sur une piste. Une fois la question posée, beaucoup de piécettes se turent mais très rapidement "l'Ecu" de St. Louis dit à Aloïs qu'il connaissait l'histoire! "Alors raconte" répondit le garçon en ouvrant grandes ses oreilles pour entendre cette fabuleuse légende !

 

"La bourse en cuir qui nous retenait enfermées et que tu as trouvée appartenait à un vieux moine, pèlerin, depuis  des siècles. Il avait été condamné au deuxième siècle de notre ère à marcher, marcher et faire le tour du monde éternellement. Il se levait le matin, revêtait sa vieille tunique faite de bure et de velours, telle que la portaient les Romains, ample, longue et fermée, suspendait sa croix pectorale en bois  autour de son cou, puis il prenait la route avec pour seul guide le soleil. D'est en ouest et de nord vers le sud ou vice-versa sans oublier un seul temple, une seule chapelle, une seule église ou maison religieuse sur terre. Là il avait le droit à une pause de la durée de ses ferventes prières." Certainement pour se faire pardonner ses fautes et pour que les ampoules de ses pieds guérissent plus vite, pensa Aloïs.

 

"Mais qu'avait-il fait pour avoir en échange une punition si terrible et surtout si longue?"

 

"Les religieux en ces temps devaient observer le jeûne  et faisaient vœu de pauvreté, or  celui qui a perdu sa bourse sur cette plage il y a fort longtemps et que les marées ont fait remonter à la surface, collectionnait les monnaies de valeur, les cachait dans sa chambrette et ne les remettait jamais dans le tronc commun de son ordre. Un jour son supérieur a découvert le secret et depuis... il marche!"

 

"Mais ne t'inquiète pas pour lui mon garçon," reprit aussitôt l'Ecu" à l'effigie de Saint-Louis, "il va continuer à parcourir le monde avec ses sandales qui, par miracle, ne s'usent jamais et avec, dans l'autre poche son "donner-recevoir"* en cuir rigide de yak, qu'il ouvre facilement pour recevoir mais pour donner, c'est une autre question! Cela même après plus de dix-huit siècles de marche autour du globe. Garde précieusement cette bourse qui maintenant est tienne et ne fais pas comme le moine avare de cette légende. Au contraire tu seras plus heureux en donnant qu'en recevant!"

 

 

 

L'ARGENT EST FAIT POUR CIRCULER,

SOIT! MAIS TRES DUR A GAGNER ET SI FACILE A DONNER.

 

 

 

 

 

* Donner pour recevoir est le principe de tout échange commercial. Le "donner-recevoir" dont il est question ici est une bourse ronde d'environ de la taille d'une balle de tennis. En cuir rigide, il a une ouverture pour permettre ces deux opérations.

Son origine remonte au début du Moyen-âge.

 

** En numismatique chaque côté d'une pièce  à son nom propre:

Avers, Face ou côté droit.

Revers, Dos ou côté gauche.

Ou si vous préférez Pile (revers) ou Face (avers).

Pour notre Euro: L'Avers est illustré par chaque pays, Le Revers est commun à tous et porte la valeur faciale.

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, Novembre 2019.

© Stéphane Bertrand.

 

 

 

 

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