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Les Contes du Colvert
20 juin 2020

LE RUISSEAU.

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° 11L

 

 

LE RUISSEAU.

 

 

Le gazon descendait en pente douce jusqu'au petit ruisseau d'eau fraîche et pure qui délimitait ainsi la propriété tout au fond du jardin. Les deux côtés de l'herbe étaient bordés de grands arbres. Des érables au feuillage rouge côtoyaient des cytises à la floraison en grappes d'un jaune vif et de sapins noirs, ex-arbres de Noël, replantés là en ligne, pour leur offrir une deuxième vie.

 

Ambre, jeune fille d'environ quatorze ans, aimait s'y allonger à plat ventre, tenant sa tête entre ses deux mains, les bras appuyés sur ses coudes. Elle se mirait dans l'eau claire et vive qui coulait devant elle et lui renvoyait une image éphémère et changeante. Inattrapable! L'eau, tantôt remuante autour d'un gros caillou, obstacle à un flux continu, tantôt à peine frisée en surface dans les recoins calmes près du bord. Là, elle la titillait alors avec une herbe longue lorsqu'elle la pensait trop tranquille. Et elle rêvait. Oh, rien de précis pour le moment, mais qui peut déchiffrer les pensées personnelles d'une adolescente? Moments merveilleux d'intimité! Son esprit vagabondait entre les pages du dernier  livre lu, les  regards volés sur la couverture d'un magazine de ses parents rendant compte d'un mariage royal ou tout simplement parmi les personnages extraordinaires qui peuplaient son jeune esprit. Kaléidoscope sans clap de fin programmé!

 

 

Les parents d'Ambre,  quant ils cherchaient leur fille, savaient au moins où la trouver. Les conseils "pas trop près de l'eau" - "l'eau est assez profonde ici pour se noyer" - "mais que fais-tu là tous les jours?" -  pleuvaient mais Ambre n'en tenait compte que par un sourire pour leur faire plaisir. Elle savait en son for intérieur qu'il allait se passer quelque chose ici. Mais quoi ? Mais  quand ?

 

Un jour d'été alors que la jeune fille était au bord du ruisseau dans sa position préférée  et que  ses parents somnolaient dans leurs chaises longues après déjeuner, elle reçut quelques gouttes d'eau sur le visage qui lui firent ouvrir les yeux. Un cavalier de blanc vêtu émergea du ruisseau sur un cheval noir, lui tendit une main qu'elle saisit instinctivement, puis l'emporta avec lui. Disparition dans le lit du petit cours d'eau et dans un élan furieux le cheval s'envola dans le ciel. Ambre se sentait bien tenue et confortable contre le cavalier et ils survolèrent des paysages très beaux qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Des villages d'où seul émergeait entre les toits le clocher fin et élancé d'une église gothique, des palais au toit plat sur lesquels les reines et les rois lui faisaient des signes de salut, des forêts  denses de sapins majestueux d'où s'élevaient quelques oiseaux paradisiaques pour saluer leur passage, des déserts arides aux palmiers assoiffés, des étendues d'eau peuplées seulement de quelques bateaux  et de milliers de poissons volants, flèches argentées, des montagnes aux sommets enneigés et des aigles qui les accompagnaient un bout de chemin. Puis à nouveau Ambre ressentit quelques perles cristallines d'eau sur ses joues, elle cligna des yeux et se retrouva allongée au bord de son ruisseau.

 

 

Ai-je dormi ? Rêvé ? Mais...quelle heure est-il donc ? Mes parents doivent s'inquiéter d'une si longue absence ! Ceux-ci ouvraient à peine un œil, sa montre indiquait quinze heures  et les larmes du ruisseau sur ses joues avaient séché! Rêve  ou... surement pas un cauchemar ? Mais c'était si beau, si plein et si rapide dans le temps, si merveilleux que je ne raterai pas la prochaine fois! S'il y en a une, pensa Ambre. La jeune fille rejoignit toute guillerette ses parents tout en gardant pour elle ce qui se passait en  son jardin secret bien cadenassé.

 

 

Les jours suivants Ambre fut enlevée par son chevalier blanc comme la première fois. Après quelques excursions aériennes la jolie jeune fille se retrouva galopant dans des paysages magnifiques. D'un monastère construit sur le sommet d'une montagne elle se retrouva dans une plaine fertile plantée de thé, d'un seul bond du cheval noir. Elle croisa des caravanes sur la route du sel et de la soie, et son cavalier lui offrit un collier d'émeraudes dûment marchandé. Ils parcouraient des forêts aux arbres majestueux, contournaient des châteaux-forts où l'on festoyait aux sons des chants et de la musique des troubadours, traversaient des villages le jour de marché ou longeaient au pas une rivière calme au bord de laquelle des troupeaux de brebis blanches s'abreuvaient.

 

 

En rentrant de son escapade, à nouveau allongée dans l'herbe, elle tâta son cou et y trouva le collier de pierres précieuses! Vite il fallait l'enlever et le cacher au fond d'une de ses poches. Qui, et surtout pas ses parents, pourrait croire à une telle histoire ? Ambre le garda dans une cachette sous une planche disjointe du parquet de sa chambre. Elle s'en parait discrètement au moment de s'allonger dans l'herbe avec le souhait de  partir à nouveau.

 

 

Les quelques gouttelettes traditionnelles qu'elle reçut au visage lui indiquèrent qu'il était temps pour un nouveau voyage. Les glaciers à perte de vue peuplés de familles d'ours polaires aussi blancs que l'habit de "son prince charmant", une immense région boisée où l'on devinait sous les branches, mangroves, crocodiles et serpents, un cap du bout de monde avec une eau froide et tourbillonnante, furieuse,  des montagnes aux  sommets enneigés  et plus bas le son mélodieux des cloches que les vaches portaient autour de leur cou, échos montagnards, des îles paradisiaques  aux palmiers servant de parasols et des lagons à l'eau transparente où deux crabes se disputaient la chair rose d'une crevette.

 

 

Et c'est ainsi que se passèrent les vacances d'Ambre. Tous les ans à bouquiner au bord du ruisseau pour ses parents, tous les jours à partir en voyage dans le plus grand secret. Première de sa classe, elle excellait en français lorsqu'il fallait mettre bleu sur blanc un conte, un voyage ou une légende. "Mais où vas-tu chercher tout cela ? On dirait des récits d'une globetrotteuse!" s'interrogeaient professeurs et copains - copines. " Ah ! s'ils savaient" pensa Ambre se remémorant le baiser que lui avait donné son cavalier blanc...le dernier jour, juste avant la rentrée!

 

 

Un jour de fin de printemps, quelques années plus tard, un terrible accident de la circulation enleva à Ambre ses parents. Tout à son immense chagrin elle alla se refugier dans leur maison à la campagne. Seule elle fera son deuil  là-bas, dans sa vieille chambre, entre ses arbres et surtout, au bord de son ruisseau. Aussitôt allongée elle reçut quelques gouttelettes d'eau sur son visage et son chevalier, tout de noir vêtu, arriva immédiatement sur un cheval blanc. Il sauta à terre, prit la jeune fille dans ses bras, la serra très fort contre lui et un baiser instinctif unit leurs lèvres. Elle allait avoir dix-huit ans dans quelques jours, n'avait plus de famille ni proche ni lointaine. Et les amitiés de lycée s'étaient éparpillées comme feuilles mortes au vent d'automne Plus de questions. "Je ne reste pas ici seule!" Elle rendit son baiser à son cavalier et à la suite de l'invitation de ce dernier, s'installa en amazone sur le cheval, près de lui. Et ce fut le départ...

 

 

D'après les dires d'un vieux berger qui gardait ses moutons de l'autre côté du ruisseau et qui avait assisté maintes fois aux départs et retours de la jeune fille, raconta que ce jour-là l'eau était montée en une gerbe haute, immense, l'eau avait inondé les champs alentours et même ses chaussettes dans ses vilaines godasses trouées. "Disparus, mais oui mon brave monsieur, disparus comme je vous le dis et personne de par ici n'a revu  la jeune femme et encore moins le cheval et son cavalier!" Et après un soupir: " Et c'est moi qui suis chargé de continuer à faire vivre cette légende!"

 

 

 

 

 

°°°°°°°°°°°°°°°°°°

 

 

 

 

A l'instant même qu'il prononça ces paroles l'on entendit tout à coup un caquetage bien bruyant en provenance du ruisseau dont étaient à l'origine  les habitants naturels de ces lieux, les colverts. "Et nous alors !!!" "Ce sont nous les gardiens des contes et légendes que nous envoyons régulièrement par les vents à ceux qui les aiment !"  "Voilà la vérité ! Et seulement nous, les colverts ! Transmis de générations en générations de canards pour qu'elles ne se perdent pas ! Mémoire collective bien plus sûre que celle d'un seul être humain, même s'il sait compter tous les soirs ses brebis pour vérifier s'il y a le bon compte."

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"DEVOIR DE MEMOIRE

POUR BELLES HISTOIRES.

COLVERTS OU HUMAINS,

LE DEBAT EST VAIN

POURVU QU'ELLES SUIVENT LEUR CHEMIN."

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, Printemps 2019.

© Stéphane Bertrand/mai 2019.

 

 

 

 

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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