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Les Contes du Colvert
17 mai 2020

LA CLAIRIERE

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

 N° 10L

 

 

LA CLAIRIERE.

 

 

Il était, il y a très, très longtemps déjà, un joli petit village, aux maisons recouvertes de tuiles rouges, situé à l'orée d'un bois profond où seuls les chasseurs traquant la bécasse des sous-bois s'y aventuraient. Et encore pas trop loin!  A leur retour ils rapportaient bien quelques oiseaux au joli plumage, pendus par les pattes à leur ceinturon,  laissant échapper quelques gouttes de sang par leur bec. Mais jamais aucun d'entre eux ne pouvait confirmer où se trouvait la source de ce bruit infernal qui empêchait tous les villageois de dormir. Et  chaque nuit: Musique! Aucune grand'mère ou arrière grand'mère ne se souvenait d'une nuit calme au bon sommeil. C'était dantesque! Tous les soirs, dès la nuit tombée, après souper, à l'heure de l'extinction des lumières et que tous les habitants du village regagnaient leur couche, cela recommençait. Tout doucement d'abord et de plus en plus fort jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Avec la tête sous l'oreiller et du coton dans les oreilles le bruit s'y faufilait toujours. C'est avec le jour que le calme revenait et les enfants avaient le droit de musarder entre draps et couettes.  Les habitants du village se remettaient à leurs tâches en baillant! Tout le monde était si fatigué que le maire, par arrêté municipal, avait rendu la sieste, même au travail, d'un minimum d'une heure, obligatoire. Question de santé publique!

 

Et puis un jour, ou plutôt une nuit, alors que tous les villageois somnolaient en se retournant dans leurs lits, que les tisanes "pour un sommeil réparateur" étaient bues mais sans aucune réparation, trompettes, hautbois et autres tambours se sont tus. Silence! Tous les gens du village se sont assis dans leurs lits les oreilles aux aguets. Rien! Plus aucun son perceptible. Et au moment de se rallonger, satisfaits, une explosion retentit. Enorme ! Et le village tremblant s'est retrouvé sous une pluie de sapins, de buissons, de pierres et rochers couverts de mousse, de quartiers de biches ou de lièvres sans oreilles.  Il y avait des branches  partout et des gravats avaient saupoudré les maisons, non sans dégâts. Puis à nouveau le silence, angoissant cette fois-ci.  Plus aucune note de musique  ne perçait  plus l'épaisse nuit! De peur, de frayeur aussi devant l'inconnu du lendemain matin, des questions qui ne trouveraient réponse qu'après le lever du soleil, de fatigue, les habitants du petit bourg se sont finalement rendormis dans un silence de tombe et d'un sommeil plus qu'agité.

 

Dès les premières  lueurs du jour les villageois se sont rassemblés devant l'église, accueillis par le curé dont  le regard se portait aussi vers la forêt,  d'où semblait s'échapper un crépitement de feu et, de temps à temps, une pointe de flamme dépassait les frondaisons. "C'est au milieu de notre bois que cela se passe! On va aller y voir, nom de d'là !" a dit le maire et comme un seul homme les habitants sont allés chercher leurs fusils de chasse. "En avant" a encore crié le maire, lui aussi armé d'une vieille pétoire. Les enfants voulaient venir aussi et les mères avaient beaucoup de mal à les retenir dans un concert de "mais je suis assez grand, je veux aller avec papa, laisse moi",  de "non" dits et redits, de cris, enfin de larmes. Entre temps les hommes avaient atteint l'orée du bois et, fusil pointé en avant, s'apprêtaient à pénétrer dans la forêt d'où s'échappaient des centaines de petits animaux, lièvres et renards, mulots et rats, oiseaux et écureuils, et tant d'autres,  dont certains étaient blessés ou brûlés. Le cerf aux bois impressionnants, que personne n'avait le droit de tirer, suivait cette débandade, majestueux, accompagné  de son harem de biches et leurs faons.

 

Au fur et à mesure que les hommes progressaient dans leur marche vers le centre de la forêt leur appréhension, leur peur aussi, se faisaient plus intenses. Qu'allaient-ils trouver au détour du prochain gros sapin, derrière ces buissons qui sentaient le roussi ?  Et tout à coup la semi obscurité des sous-bois fit place à une immense clairière qui les laissa sans voix et tant de choses où regarder que les yeux ne pouvaient se  stabiliser sur un point précis. Un spectacle inouï  les attendait là !

 

L'ensemble qu'ils avaient sous les yeux donnait, de prime abord,  une impression de gris et de cendres, d'animaux monstrueux et d'objets statufiés comme à la suite d'une éruption volcanique. Mais pas de volcan ici, seulement une énorme météorite qui après le choc de son atterrissage sur la terre s'était transformée en poudre légère comme poussière. Les hommes découvraient un groupe de cerbères tenus en laisse par des harpies hideuses le regard et le sourire figé, momifiées, pour l'éternité.  Il y avait là une hydre surprise en plein repas à s'attaquer aux tentacules d'une méduse géante. Un griffon debout sur un coffre rempli de pièces d'or, lui et ses semblables, éternels gardiens de trésors. Plus loin un ogre hideux semblait faire rôtir un dragon à la broche, qui par ses crachats de feu, avait dû, lui même, entretenir les flammes au-dessus desquelles il cuisait! Des minotaures raidis par la mort avaient le regard triste, absent. Des loups-garous, probablement les gardiens du lieu, semblaient endormis dans la paix. Et tant d'autres animaux préhistoriques, momifiés à jamais avec leurs ailes, leurs pattes de mammouths, leurs corps nus ou poilus, ou encore recouverts d'écailles de la taille d'une assiette pour géants. Et des instruments de musique calcinés partout. Spectacle hallucinant qui laissait perplexes  les vaillants villageois! Et ceci dans "leur" bois! Le mystère de l'origine du bruit nocturne était enfin éclairci ! Le silence maintenant était assourdissant ! On ne va plus pouvoir dormir !

 

Après de longs moments de réflexion le maire, montrant que la population pouvait compter sur lui, s'avança vers un dragon ailé et voyant que celui-ci était parfaitement immobile, il avança une main,  dans un geste de caresse, vers lui.  De son aile il retira beaucoup de poussière et mit à jour des plumes étincelantes de couleurs vives comme elles devaient pouvoir s'admirer de son vivant. " Nous allons retourner au village pour rendre compte aux femmes et ensuite nous leur demanderons de venir faire un grand ménage pour redonner à ces monstres un aspect un peu moins poussiéreux. Quant à nous les hommes, nous arrangerons un joli chemin pour venir jusqu'ici et des panneaux indiquant le sens de la visite! Un peu de publicité et vous verrez que le village deviendra riche avec les nombreux touristes qui ne manqueront pas de visiter notre musée en plein air! L'or du coffre va payer tous les travaux. Allez!" s'écria le maire, " En Avant!"

 

Six mois plus tard tous les  travaux étaient terminés et la mise en scène des monstres divers et variés, dûment répertoriés et affichés avec leur photographie, occasionnait à chaque nouvel arrivant un "Oh" admiratif accompagné d'un léger mouvement de recul. Il faut bien dire qu'avec leurs couleurs, les gueules  ouvertes sur des incisives pointues et des molaires style broyeuses, leurs yeux injectés de sang, jetant des regards de faim sur les visiteurs, il y avait de quoi surprendre ces derniers.

 

La renommée de ce "Monster Muséum & Park" avait vite fait le tour du pays et même au-delà. Les touristes arrivaient par autocars entiers et devaient repartir le soir même faute de moyens d'hébergement sur place. Le seul bistrot du village avait installé une grande tente meublée avec tables  et longs bancs de ferme. "Couleur locale" s'extasiaient les étrangers! Les assiettes étaient décorées avec des monstres et les pleurs des enfants qui ne voulaient pas manger dedans nombreux! La bière, localement brassée, s'intitulait "Monster Beer" ainsi que la nourriture servie: "Monster Steak", "Monster Frites", "Monster Camembert" ou "Monster ice-cream"... Tous les habitants travaillaient pour ce tourisme de masse et un arrêté municipal était paru annulant celui rendant obligatoire la sieste! Un habitant du village avait écrit l'historique du parc et son livre, joliment illustré par les élèves de l'école du village, se vendait bien.

 

Puis un jour un chauffeur de car, après une très longue attente, avait dû repartir à vide! Les cinquante-quatre passagers avaient tout simplement disparus au cours de la visite du parc! Mise en branle du service de sécurité et appel à la maréchaussée à cheval. Rien n'y fit. Les touristes, hommes, femmes, enfants venant d'un pays voisin, restaient introuvables. Les recherches s'étaient poursuivies toute la nuit et le lendemain matin. A l'appel des courageux sauveteurs il manquait un gendarme et son cheval! Tout le monde y retourna sans trouver ni cheval ni militaire. Par contre, cette fois-ci, un villageois n'était pas revenu avec ses voisins!

 

"Monster Muséum & Park" a dû fermer et les nombreux visiteurs en route pour le visiter, faire demi-tour. La clairière fut envahie par toutes sortes d'experts, la police scientifique sans oublier les nombreux journalistes du monde entier. On trouva bien quelques os humains rongés et le squelette de la tête du cheval un peu plus loin. Mais le mystère restait entier et faisait de plus en plus peur malgré la surveillance vigilante de l'armée de terre omniprésente. Les soldats patrouillaient jour et nuit pour rien.

 

Comme pour tout drame inexpliqué, l'intérêt pour cette histoire s'effilochait de mois en mois et les villageois avaient dû reprendre leur travail antérieur. Quelques jours après l'abandon définitif des recherches et la mise en quarantaine pour une période indéfinie du "Monster Muséum & Park" la musique, plutôt un tintamarre épouvantable, reprit dès la tombée du jour. Les nuits agitées sans sommeil revenaient en force dans tous les foyers. Le maire, en période électorale, devait absolument trouver une solution. Il cogita des nuits entières puis passa à l'action. Avec son ami, le boucher du village, ils décidèrent d'empoisonner au cyanure, arsenic et autres gâteries, des quartiers entiers de viande  et les disposer en fin d'après-midi dans le parc. Le soir, après quelques sons pour accorder les instruments, ce fût à nouveau le silence interrompu brièvement par un bruit de ruée, de cavalcade, des cris et quelques rugissements à l'origine non définie. Puis le calme enveloppa dans sa douceur le village, ses habitants, leur sommeil et rêves, et la forêt.

 

Le lendemain à l'aurore tout ce joli monde se pressa derrière le maire, qui clés en main, ouvrit le portail principal du parc. Et comme la première fois il y a plus d'un an, il fut suivi par les hommes en armes. La troupe avança prudemment et s'arrêta net à l'orée de la clairière. L'histoire se répétant au cours des siècles, là encore le spectacle avait de quoi surprendre. Les monstres avaient dû se battre pour la viande et gisaient les uns sur les autres avec des grimaces incroyables. Par contre chaque statue ne comportait qu'un trou par où la bête avait dû sortir pour son dernier dîner. Tous étaient donc en vie, emprisonnés dans leur statue respective et pour mettre fin aux gargouillements de faim de leurs estomacs étaient sortis sans laisser de traces visibles pour se nourrir! C'était un spectacle monstrueux mais, oh combien, prometteur!

 

Après les poisons les monstres avaient eu droit au bûcher! Et quel feu pour la Saint Jean! Le village était en fête, tout le monde dansait, mangeait et buvait, peut-être plus que de raison, mais pour une fois et à une occasion pareille...  Le lendemain matin tous étaient au boulot. Les maçons rebouchaient les trous des statues, les menuisiers réparaient les mains-courantes des allées, les peintres donnaient une nouvelle vie colorée aux monstres en stuc, les jardiniers désherbaient, les femmes et les enfants balayaient et le maire...surveillait! Il sera certainement réélu.

 

Il a fallu trois mois aux villageois pour remettre tout en ordre, faire faire une visite sécuritaire aux pompiers et engager quelques gardiens de plus! Prudence. Et pour la seconde fois le "Monster Muséum & Park" fut inauguré en grande pompe.

 

 

BIEN OU MAL FAITE,

L'HISTOIRE SE REPETE.

 

 

Le Colvert, Baudienville, Printemps 2019.

© Stéphane Bertrand/mai 2019.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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