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Les Contes du Colvert
13 novembre 2017

UNE VIEILLE FEMME.

LES CONTES DU COLVERT

par Stéphane BERTRAND

NOUVELLE SERIE

 

 

N°20 NS

 

UNE VIEILLE FEMME.

 

C'était une vieille femme, très vieille. Personne dans le village ne se rappelait  de l'année de sa naissance. Lorsque l'on interrogeait les villageois quant à son âge, ils répondaient tous, invariablement, qu'ils l'avaient toujours connue. Même les plus vieux d'entre eux, y compris les centenaires. Et ceux du cimetière, s'ils avaient pu parler, auraient dit la même chose.

C'était une femme pauvre, très pauvre. Sa masure prenait l'eau de pluie de toutes parts. Les volets en bois   battaient au vent et l'herbe de son jardin était haute car elle n'avait pas  été tondue depuis longtemps, très longtemps. Et pourtant c'était une vieille bien gentille et bonne, simplement elle n'avait pas eu de chance dans sa vie.  C'est pourquoi elle était pauvre aujourd'hui après avoir trimé dur, très dur, de longs jours, de longues années, sa vie durant.

Ce soir-là, comme tous les soirs à cette heure-là, la vieille femme était assise sur sa petite chaise inconfortable devant sa cheminée où brûlait un maigre feu juste assez chaud pour maintenir sa soupe à la bonne température. Celle-ci cuisait dans un grand fait-tout en cuivre noirci par les flammes et suspendu à la crémaillère d'un trépied au-dessus du foyer.

La vieille femme somnolait sur sa chaise le menton sur sa poitrine. Peut-être rêvait-elle à sa jeunesse, lorsqu'elle avait 18 ans avec tous les jeunes gens à ses genoux,  au temps des bals, de l'insouciance et des baisers volés au détour d'une haie.

Elle était habillée de noir et seul son vieux tablier troué faisait encore fleurir, entre les taches, quelques coquelicots aux pétales plus gris que rouges. Le fichu, sous lequel, la vieille femme cachait ses rares cheveux blancs, était noir  aussi.  Avec l'âge venant, deux verrues surmontées de longs poils blancs, avaient poussé sur son visage, l'une au milieu de sa joue gauche et l'autre à la commissure droite de ses lèvres fanées . Mais, ce dont on ne pouvait s'apercevoir dans la position où la vieille femme se trouvait actuellement, c'étaient ses yeux. Deux  yeux bleu-clair comme des aigues-marines et dont l'éclat n'avait pas terni avec l'âge. Des yeux lumineux, qui, lorsqu'ils vous regardaient, exprimaient une bonté naturelle, douce et sincère. Des yeux qui souriaient en permanence. Deux étincelles bleues au milieu d'un visage marqué par un dur labeur en plein air et ridé comme un champ fraîchement labouré.

Subitement la vieille femme fut tirée de sa rêverie  par un bruit qui ressemblait fort à celui d'une cuillère en bois raclant le fond et les bords de sa casserole de soupe. En ouvrant complètement les yeux elle découvrit que la cuillère tournait toute seule dans son maigre potage de légumes! A y regarder de plus près, après s'être bien frotté les yeux, elle découvrit au bout de la cuillère un elfe, aidé par quelques lutins rieurs, qui mélangeait la soupe afin qu'elle ne brûle point. Et ce petit monde la regardait avec tendresse. Beaucoup de tendresse. L'elfe tournait, tournait la longue cuillère et les lutins dansaient en équilibre sur le bord de la bassine. Certains d'entre eux jetaient dans la marmite des morceaux de lard fumé, d'autres des légumes et de bonnes pâtes aux œufs, pour épaissir un peu et donner un bon goût à ce brouet d'eau, trop liquide et aux rares feuilles vertes de poireaux desséchées.

Entre temps, Ficelle, son vieux chat, très vieux lui aussi, roux aux rayures d'un tigre, avait levé sa tête aux yeux d'or, les nasaux en éveil et la moustache frémissante à l'odeur, oubliée depuis longtemps, du lard. Le chat se doutait de ce qu'il se passait mais ne miaula point. Comme sa maîtresse, il n'avait pas mangé de lard depuis des lustres et comme elle, cela le mit en appétit. Enfin ils passent à l'action, se dit-il!

Quelques elfes de la tribu des Hauts-Elfes, avaient mis le couvert sur la table. Une nappe propre et fleurie avait fait son apparition  ainsi que de belles assiettes, plates et à soupe, au décor coquelicots et des couverts neufs étincelants. La gamelle, neuve elle aussi, pour Ficelle, était à sa place à l'autre bout de la table où il avait ses habitudes. Assis sur sa chaise il posait ses pattes avant sur la table et dînait ainsi, face à face, avec sa maîtresse. C'était un rituel qui se renouvelait à chaque repas depuis que le mari de la vieille femme avait quitté, il y a fort longtemps, ce monde pour un autre que l'on prétend meilleur. Et le chat et sa maîtresse se racontaient la journée écoulée, morne et pareille à la veille, l'avant-veille et tous les jours depuis des mois, des années. Sans souris pour le chat. Sans lard pour la vieille femme.

 

La vieille femme se retrouvait, tout à coup, assise à table, comme par magie, sur un fauteuil carmin, tout neuf et rembourré confortablement avec de jolis coussins. Les lutins firent le service et en voulant se lever, pour récupérer près de l'âtre, de vieux morceaux de pain rassis, la vieille femme se retrouva avec une belle baguette dorée  et croustillante, encore chaude, dans la main, dont elle avait oublié aussi, depuis longtemps, la bonne odeur du pain frais.

Ce fut le meilleur repas que firent la vieille femme et son chat depuis  des années, et en guise de dessert, du mou tout frais pour Ficelle et des fraises au sucre pour elle.

Au moment d'aller se coucher, encore une surprise l'attendait. Un lit propre et frais avec des draps immaculés et une jolie couette épaisse décorée de  belles fleurs, rouges comme les roses. L'oreiller sentait le patchouli et sur la table de nuit le bougeoir avait été remplacé par une lampe de chevet toute neuve qui fonctionnait à l'électricité!  La vieille femme n'eut pas la force ni le courage de se demander par quel miracle le courant était revenu dans sa maison alors qu'il était coupé depuis tant d'années, faute de pouvoir honorer les factures. Quant au chat il ne demanda pas son reste pour se rouler en boule dans son nouveau panier à côté duquel une petite gamelle de croquettes délicieuses, pour une éventuelle petite faim nocturne, avait été déposée par un elfe de ses amis.

Une fois le ronron du chat éteint et que les légers ronflements de sa maîtresse avaient laissé la place à une respiration calme et régulière, elfes et lutins se mirent au travail. Et quel boulot! Ficelle ouvrit un œil de temps en temps, l'air de rien, pour surveiller le chantier.

A son réveil la vieille femme ne reconnut plus rien, se demandant même où elle était. Au paradis? Sa grande et unique pièce s'était transformée en un confortable salon-salle à manger-cuisine et chambre avec du mobilier neuf. Un coquet divan avait remplacé un vieux matelas troué et brûlé par des escarbilles  du feu, les chaises branlantes avaient laissé la place à un banc en chêne  d'un côté de la table, neuve, elle aussi et en chêne massif, et, de l'autre côté, deux chaises enveloppantes et moelleuses. Un beau vaisselier, rempli d'un service de table complet, porcelaine et verres en cristal, trônait fièrement le long du mur. Les fenêtres étaient à double vitrage aux volets électriques verts. Verte aussi était la porte d'entrée fermée par une triple serrure de sécurité. Et les rideaux, au décor coquelicots, donnaient une impression coquette à la maisonnette entièrement refaite aussi de l'extérieur sans oublier le toit aux tuiles rutilantes.

Et elle n'était pas au bout des surprises, la vieille femme, qui avait mis de beaux habits neufs - toutes les vieilleries ayant disparu de ses étagères pendant la nuit - lorsqu'elle sortit sur le pas de sa porte. Elfes et lutins avaient transformé son champ à l'abandon en un merveilleux jardin fleuri devant la maison et, sur l'arrière, elle trouva un potager magique puisqu'il lui fournirait,  au cours de l'année, tous les légumes et fruits nécessaires, quelles que soient la saison ou la température extérieure. De petits nains s'y affairaient, maniant pelle et pioche.

Devant la surprise, voire l'ahurissement, de la vieille femme qui se demandait comment elle allait rembourser tous ces travaux, les lutins firent une ronde autour d'elle et de son chat en lui signifiant qu'elle n'avait pas à s'inquiéter pour cela. D'ailleurs l'elfe-trésorier de la tribu avait trouvé un moyen ingénieux afin que la vieille femme ne fut plus jamais dans le besoin. Chaque fois qu'elle dépensait un sou, comme par exemple, lors de la livraison quotidienne, programmée à vie, de ses vivres, son porte-monnaie s'enrichissait de deux nouvelles piécettes!

Des gens qui passaient devant la maison, les uns disaient : "Oh, comme elle est jolie cette maison et quel beau jardin  fleuri encore à cette saison !" Les autres : "Ah, elle a hérité la vieille!" Certains laissaient filtrer entre leurs lèvres pincées  et méchantes: "Eh, je t'avais bien dit qu'elle devait être riche cette vieille peau et planquer son pognon sous son matelas!"

Et c'était vrai qu'elle était riche, mais pas d'argent. La vieille femme était riche de bons sentiments envers les autres. Sa bonté était grande et elle donnait, donnait à qui lui demandait. Cela se sut très rapidement dans le village et puis dans la région. Les quémandeurs se faisaient de plus en plus nombreux et pressants. Comme la vieille femme ne savait pas dire non, l'elfe qui avait pris soin de ses revenus y mit rapidement le holà. Et toutes les petites pièces qu'elle distribuait ainsi s'envolèrent de la poche de ceux qui n'en avaient pas besoin et retournèrent, comme par magie, dans la boîte où elle conservait ses sous, sur la poutre de la cheminée où flambait en permanence, sans avoir à y remettre régulièrement du bois, un bon feu réchauffant la maison et les vieux os de la vieille femme et de son chat doré.

"Mais que m'arrive-t-il ?" se demanda-t-elle. "Qu'ai je fait pour mériter tant de bonheur et de gentillesse?" Et comme ces paroles murmurées empêchaient le chat de dormir paisiblement sur ses genoux, Ficelle se mit à parler. "Oh tu n'as rien fait de mauvais. Tu as toujours été une bonne maîtresse et tu t'es ruinée à donner, par pure bonté, tout ce que tu avais, aux autres. Mais les autres ne t'ont jamais rendu la pareille une fois que tu étais devenue pauvre. Ils se sont même détournés de toi faisant semblant de ne pas te connaître. Alors j'en avais assez de veiller sur toi en ayant froid et faim et j'ai donc fais jouer mes relations avec un monde connu uniquement des chats, des elfes et des lutins. Une fois qu'ils connurent ta situation, d'un seul élan, ils ont décidé qu'il fallait que ça change et ont mis leurs pouvoirs magiques en route pour améliorer ton sort et le mien par la même occasion. Et maintenant, s'il-te-plait, laisse moi dormir !"

 

DONNE A QUI TU VEUX,

RECOIS DE QUI TU PEUX.

 

 

 

 

 Le Colvert, Baudienville, octobre 2017.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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