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Les Contes du Colvert
18 janvier 2020

LE REVENANT

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° 06L

 

LE REVENANT.

 

 

La légende veut que ce très beau jeune homme aux boucles d'or et yeux bleus, d'environ vingt cinq ans, à sa mort programmée, accidentelle, tous les quarts de siècle, se réincarnait aussitôt en un personnage du même âge dans une époque passée et lointaine ou dans le futur dont on n'avait aucune idée puisque pas encore vécu. Mort ici, il revient à la vie là-bas!

 

Assis dans l'âtre sur une vieille chaise en bois, noircie par la proximité de la flambée, l'aïeul qui frisait les deux-cent-soixante-quinze ans, racontait, depuis des générations, cette histoire à ses enfants et petits-enfants, le soir, juste avant l'heure du coucher. Le grand'père, qui  avait vu très irrégulièrement ce jeune homme après certains de ses décès, prétendait même  l'avoir bien connu en sa jeunesse et avoir bu un coup de vin blanc sec en sa compagnie au troquet du coin qu'il venait de livrer en boissons diverses. Paraît-il que c'est là, que celui que tout le monde n'appelait plus que "Le Revenant", lui avait conté son histoire. Banni du repos éternel, et  condamné à ne jamais mourir calmement dans un lit, il revenait sur terre à un moment ou un autre, pour subir au bout d'une courte vie, qui ne durait jamais plus de vingt-cinq années, une mort atroce.

 

Lorsque le vieux bonhomme, réchauffant ses os engourdis près du feu, l'avait rencontré la première fois, il venait d'être assassiné à la Curie                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      de Rome dont il était sénateur, le plus jeune d'entre eux. En ce début de printemps de l'an 476, la chute de l'empire romain était déjà en marche et les trahisons nombreuses. Personne ne sachant comment les régler autrement et définitivement que par l'assassinat, on avait donc quotidiennement recours au meurtre, qui avait l'énorme avantage d'effacer le risque de se retrouver face à la victime plus tard! Alors frappé par derrière d'un coup de dague dans les reins, il s'écroula sur le sol, joliment décoré d'une mosaïque d'un bleu céleste,  que son sang recouvrit le temps d'enlever son corps et de nettoyer par terre.

 

"Mais alors que faisait-il avec toi ? Etait-il livreur aussi?" demandaient  les petits enfants qui l'écoutaient. "Attendez, cela vient ! Oui, il conduisait un gros camion." Et c'est venu sous forme d'un autre poids lourd, tout peint en vert, de livraison de bière, qui en reculant brusquement, a   heurté mortellement le jeune homme. Le papy avait échappé à l'accident de justesse. Il avait murmuré "A bientôt! Ou pas."

 

Quelques jours après, le grand'père, à force de recherches à la bibliothèque municipale, où il était "client d'honneur", et non sans une certaine chance, avait retrouvé la trace du jeune homme. Un beau dessin le représentait  assis, presqu'en haillons et "sans culotte", sur un gros tas de pierres non loin d'une grande prison d'où le peuple en colère avait libéré tous les détenus et enchaînés. Beaucoup de maisons alentours brûlaient, le bruit des tirs des arquebuses et des cris de la population, "Mort au roi", étaient assourdissants. En cette année de 1789, les chariots tirés par des bœufs emportaient vers l'échafaud nombre de gens coupables, ou non, après un jugement à la va-vite. Avec son drapeau bleu fleurdelisé, qu'il secouait en criant "Vive le roi", notre gaillard ne tarda pas être interpellé et à finir guillotiné au gibet de la place de Grèves devant l'hôtel-de-ville.

 

Puis grand'père le retrouva en feuilletant l'Histoire de France en plein moyen âge. Il était commis dans une taverne dans le quartier du Marais à Paris. C'était dans les années 1200/1210. La ruelle sur laquelle s'ouvrait la porte de l'estaminet était recouverte de fange, d'urine et excréments humains et avait besoin d'une journée de pluie dense pour évacuer toutes ces saletés vers la Seine et leurs odeurs avec! Notre garçon servait à boire aux clients, pas toujours recommandables: truands en tous genres, voleurs et assassins de grand chemin ou de petites rues sombres la nuit venue, prostituées jeunes et vieilles, formaient le gros de la clientèle. Les rixes d'après boire étaient quotidiennes et finissaient souvent mal à la pâle lueur vacillante  des chandeliers. C'est ainsi que notre "Revenant", mettant trop de temps, aux dires de ses clients, à les servir, reçut un coup d'épée dans le foie et s'écroula sur leur table renversant la plupart des pichets pas encore vides. Son corps fût débarrassé dans l'arrière cour et dépouillé des quelques piécettes qu'il avait reçues dans la journée de clients plus avenants que ces derniers! Le patron de ce coupe-gorge remit aussitôt, à l'extérieur un avis, "Recherche commis urgent ". Il en avait l'habitude et se servait ainsi du même papier crasseux tous les deux ou trois mois.

 

Notre "Revenant" fût projeté en l'an 1866 quelque part dans l'état du Texas. Jour d'hiver bien frais malgré son habit de chasuble blanche et le bonnet pointu couvrant tout le visage, ne laissant que deux trous pour les yeux. Il déambulait dans une ligne d'hommes habillés comme lui, une procession en l'honneur du premier anniversaire de la création du KKK*, une association plus que douteuse et plus clandestine qu'officielle qui se voulait incarner un "empire invisible". La police à cheval chargea pour dissoudre cette manifestation interdite, légère résistance des participants et c'est lui, notre "Revenant", qui prit en plein coeur la seule balle tirée ce soir là! Son dernier regard fût pour l'imposante croix en bois enflammée. Retour chez le grand'père, toujours fidèle à sa place dans la spacieuse cheminée, pour lui narrer un nouveau chapitre de sa vie mouvementée avant de se changer en un voile transparent emporté par le vent. Âme vagabonde !

 

"Le Revenant" fût transporté en un clin d'œil  en avant dans le temps et se retrouva en l'an 2158 en pleine guerre des étoiles. La population n'était plus uniquement humaine mais composée d'êtres plus ou moins hommes, plus ou moins animaux et en grande majorité de robots de toutes les tailles sachant tout faire, ayant tous les pouvoirs et tuant l'adversaire en pointant dans sa direction leur index pour lâcher un jet laser lumineux et mortel. La dernière étoile que l'on aperçoit avant d'être emporté vers un monde inconnu et toujours, même encore à cette époque, qualifié de meilleur. Le vaisseau spatial de cent-cinquante-mille tonneaux, une véritable ville flottante, que notre jeune capitaine aux cheveux blonds, longs et bouclées, pilotait à travers le cosmos à deux-cent-mille miles à l'heure fit alors une rencontre malheureuse et heurta une météorite non répertoriée, pourtant énorme, dans le radar de bord et ce fût un choc terrible, un feu d'artifice interstellaire qui avala d'un coup le vaisseau et ses habitants. Gloup!

 

Quelques siècles avant son incursion dans le futur, la légende veut que nous retrouvions notre "Revenant" en l'année 1515. Il était à ce moment-là un gentilhomme à la cour du duché de Milan, assistait à l'arrivée des troupes et canons du jeune roi de France François I° qui voulait le reconquérir. La traversée des Alpes fut à elle seule un acte de folie mais de succès malgré le nombre élevé des pertes en hommes, chevaux et matériel. Des deux côtés, les Français de l'un et les Suisses associés aux Italiens de l'autre, s'observaient du coin de l'œil avant d'en venir aux mains. Le roi de France n'était pas en force et n'aurait jamais gagné cette bataille sans l'intervention de son allié, les troupes des Vénitiens envoyées de La Sérénissime. C'est ce jour-là que notre "Revenant" avait choisi pour emmener, en promenade à cheval, sa dulcinée du côté de Marignan. C'est ce jour-là aussi qu'il mourut, une fois de plus, frappé en pleine poitrine par un boulet de canon français.

 

Une fois son court séjour plus ou moins régulier, après chaque mort, auprès de l'aïeul terminé, notre "Revenant" disparut sans laisser d'adresse! Il racontera plus tard, dans environ vingt-cinq ans ou peut-être cinquante, qu'il s'était retrouvé en Camargue au sud de la France. A cheval sur un de ces merveilleux chevaux blancs dont l'origine se discute toujours autour du feu du campement. Les uns pensent que leur race est une des plus vieilles du monde, d'autres qu'ils sont nés de l'écume des vagues de la mer, là, sur la plages des Saintes-Maries-de-la-Mer. Au petit matin  la marche de la manade s'est poursuivie à la recherche de pâturages frais entre ciel, terre et mer. Les jeunes taureaux sauvages à la belle robe noire brillante sous le soleil levant et leurs cornes en forme de lyres semblaient donner un concert en l'honneur du Créateur! Mais il fallait les surveiller et éviter l'éclatement de la manade. Après un nouveau galop, notre gardian alias "Le Revenant", fut brutalement éjecté de sa selle, s'est retrouvé au sol, fut piétiné par une quantité de "toros" et encorné comme un toréador  en pleine faena, par un gros mâle furieux d'avoir rencontré un obstacle non prévu sur son chemin de liberté. Oraison funèbre de ses compagnons: "C'est bien bête de mourir si jeune!"

 

La fin de cette légende n'est pas encore écrite mais à écouter ce que l'on en dit elle serait bien plus triste que tout ce que nous avons entendu jusqu'à présent. En effet elle veut aussi la mort du grand'père comme si celles du "Revenant" n'avaient pas versé suffisamment de sang. Il est mort dans les flammes de sa cheminée après que sa chaise paillée ait pris feu par les pieds, déjà fort roussis depuis le temps. Il est parti à un âge honorable et qu'il est assis maintenant dans un fauteuil confortable, dans un coin, sans courants d'air, entre les nuages du Paradis. Et c'est là qu'il reçoit, pour une coupe d'hydromel distillé avec du pommeau normand, la visite d'un beau jeune homme aux boucles blondes, le corps recouvert de cicatrices de toutes tailles et formes, tous les vingt-cinq ans! L'éternité lui paraissait ainsi moins...éternelle!

 

 

 

 

UN JOUR ICI, UN AUTRE LA BAS,

AINSI VA LA VIE ICI BAS.

 

 

 

 

 

 

 

* K.K.K. Ces trois lettres sont les initiales par lesquelles on désigne le Klu-Klux-Klan, une association raciste américaine, surtout implanté dans le sud du pays après que la guerre de sécession ait tourné en faveur du général Grant aux dépens du général Lee.

 

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, janvier 2019.

© Stéphane Bertrand/mai 2019.

 

 

 

 

 

 

 

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