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Les Contes du Colvert
14 novembre 2020

LA REPASSEUSE.

 

 

                       

LES LEGENDES DU COLVERT

 

 

Par Stéphane BERTRAND

 

 

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

 

 

 

 

N° L 16

 

LA REPASSEUSE.

 

 

Dans une très grande ville où les gratte-ciel chatouillaient de leurs antennes de télévision les nuages et où les rues étroites ne permettaient pas au soleil de réchauffer les piétons sur les trottoirs, vivait Mary, repasseuse et blanchisseuse de son état. Elle avait une minuscule boutique à l'angle de deux rues dans le quartier des affaires. Les bureaux occupaient tous les étages de ces  immeubles si hauts, que l'on se retrouvait souffrir d'un torticolis et porter une minerve, lorsque l'on tentait d'apercevoir, à partir de la rue, les derniers étages. Le matin, les bouches des transports souterrains vomissaient sur les trottoirs une foule compacte de gens se rendant à leur travail et en fin d'après-midi  les escaliers menant au métropolitain les ingurgitaient à nouveau.

 

C'est parmi eux que se trouvaient tous les clients de Mary. Ils déposaient leur linge sale le matin en passant, puis Mary lavait, séchait et repassait ces vêtements afin que les passants puissent les reprendre, tout propres, tout frais, sentant bon, sur le chemin de retour en début de soirée. Et ces personnes étaient heureuses du temps gagné et du faible coût mais demandaient souvent un délai pour payer! Mary a vu défiler entre ses mains les sous-vêtements intimes des secrétaires, des robes de la plus simple à celle hors de prix et les chemises et cravates des cadres. Mais elle gardait tout cela secret et ne se trompait jamais de paquet ou de personne en restituant le linge.

 

Un jour pourtant elle retira d'un sac sans nom un pantalon d'été très léger  d'un joli bleu. Une des poches était gonflée par un objet dur qui, une fois extrait, s'avéra être un gros caillou blanc, presque transparent, qui brillait de mille feux étincelants dans la main de Mary. Elle avait beaucoup de mal à enlever son regard de cet objet fascinant qui ressemblait à un gros diamant comme elle en avait vu dans les vitrines des joaillers. Par contre la taille de celui qu'elle tenait était très grosse et lourde à la fois.

 

"Oui, je suis un diamant blanc-bleu des plus purs et je me sens bien dans la paume douce de ta main," murmurait cette belle pierre précieuse. "J'ai été oublié il y a très longtemps de cela, dans ce pantalon, au décès de son propriétaire  qui n'a jamais voulu de son vivant me donner ou me faire tailler pour ses enfants. Devenu vieux, ses héritiers étaient très méchants avec lui et je crois bien que c'est son chagrin qui l'a tué. Toi, disait-il en me regardant, tu feras le bonheur de quelqu'un de bon et gentil et qui aura beaucoup travaillé dans sa vie. Eh bien, je crois que je suis tombé au bon endroit et tu n'as qu'à me demander ce que tu veux et tu l'auras immédiatement!"

 

Mary curieuse et effrayée à la fois de voir un beau caillou parler, dut s'asseoir quelques instants pour réfléchir à tout cela. Bien sûr elle le remercia et se rassura de n'avoir commis aucune faute quant à la mention d'un nom sur le paquet de ce pantalon. Le diamant lui  dit que c'était par magie qu'il s'était trouvé là après une errance de plusieurs années pour jeter son dévolu sur elle. La plus dure au travail, la plus appliquée à bien faire et la plus honnête de toute la ville, du comté et du pays, avait ajouté le diamant blanc, qui était désormais le sien.

 

Mary se dépêcha de finir les préparatifs des vêtements à distribuer bientôt à leurs propriétaires et cacha son ami la pierre au fond de sa boutique. Mais son esprit était déjà en vadrouille sur le grand chemin des projets...

 

...Un magasin plus grand et plus confortable, quelques nouveaux tabliers, et une tenue pour sortir, un meilleur chauffage dans son mini appartement, aller chez le coiffeur plus souvent, et surtout ne plus avoir à compter les sous qui lui restaient le vingt-trois de chaque mois!

 

Le diamant qui avait suivi les pensées de Mary se mit à rire de bon coeur. "Mais ce n'est pas de tout cela que je te parle. Ces  choses ordinaires vont se faire rapidement et tu verras tu ne seras pas déçue" Ensuite le diamant lui parla de voyages et de croisières, d'hôtels de luxe et de restaurants gastronomiques, de tour du monde en avion et de châteaux anciens à découvrir, de réserves naturelles aux arbres plus que centenaires et de sanctuaires pour animaux sauvages ou ce qu'il en restait!

 

La gentille Mary avait du mal à s'imaginer une vie autre que la sienne. Des grands hôtels ou restaurants elle ne connaissait que les beaux habits, robes longues du soir ou smokings, de ses clients et qu'elle nettoyait avec mille précautions. Mais se dit-elle, après tout pourquoi n'y aurais-je pas droit aussi et du moment que "Mon beau blanc-bleu" m'y invite, alors allons y!  Et ainsi fut fait.

 

En rentrant  chez elle, Mary trouva son appartement plus grand, de grandes verrières laissaient le soleil entrer à flots dans  une grande pièce meublée à son goût, une cuisine ultra-pratique et spacieuse ainsi qu'une chambre digne d'une reine. En plus elle découvrit un beau bureau avec tout le matériel nécessaire pour tenir les registres de ses clients. Mary passa une nuit de vrai repos dans son nouveau lit et ne sentit plus  les douleurs que son vieux matelas lui procurait.

 

Le lendemain matin les surprises continuèrent. La devanture de sa boutique entièrement refaite à neuf était illuminée par une belle enseigne lumineuse et clignotante. On pouvait y lire "BLANCHISSERIE MARY" et en plus petit, en dessous, "Repassage manuel". Elle avait du mal à suivre son nouvel ami, tout allait trop vite et par extraordinaire, exactement comme elle avait rêvé  que ce serait un jour après avoir gagné beaucoup d'argent! A l'interieur les machines tournaient à plein régime surveillées par deux jeunes femmes portant tablier brodé au nom de la boutique.

 

"Mais..." s'exclama Mary, "que faites vous là, comment vais-je vous payer ?" Le "Blanc-Bleu", bien caché au fond de son vieux sac à mains lui expliqua qu'elle n'avait à se préoccuper de rien, que tout était réglé et qu'elle n'avait qu'à suivre ses habitudes avant de partir en vacances.  Vacances ! Tiens voilà encore un mot dont je ne connaissais pas le sens, pensa-t-elle.

 

Les clients de Mary non plus n'en croyaient pas leurs yeux, "si beau et surtout si vite, comment est-ce possible?" et heureux pour elle, ils la félicitèrent à force de baisers et d'étreintes amicales. Et la vie de tous les jours de Mary continua, dans ces beaux locaux comme avant. Le diamant commençait à s'impatienter et tous les jours lui demandait quant elle souhaitait partir. "Dis-moi et laisse moi m'en charger, pour la semaine prochaine?"

 

Un jour, plus fatiguée que d'habitude, elle céda. Une croisière côtière de Seattle, état de Washington jusqu'à San Diego en Californie avec une excursion à Tijuana au Mexique! Ou sur le Rhin, de Strasbourg vers Amsterdam? Ou une descente du Mékong ?  Mary n'arrivait pas à se décider tant l'offre était grande et diverse et demanda son avis à son "BB" qui lui proposa cette escapade sous forme de surprise!

 

Un mois plus tard lorsque Mary revint à son magasin elle trouva son compte en banque joliment gonflé, des mots de ses clients  heureux qu'elle ait pris des congés et que ses collaboratrices aient fait un beau travail, toujours avec le sourire.

 

Et c'est ainsi que Mary entra dans une vie normale...un peu plus peut être, une vie nouvelle où elle ne  manquait de rien. Merci mon beau diamant! Deux mois de travail précédaient  un mois de vacances fabuleuses à la découverte du monde et de toutes ses richesses dans tous les domaines et tous les pays existants où il n'était pas trop dangereux de se déplacer. Mais le danger n'existait pas pour Mary, Le "blanc-bleu" veillait!  Et les pages de son passeport se remplissaient de visas et de cachets d'entrée ou de sortie de tel ou tel pays.

 

Puis vint le jour ou, nonchalamment adossée au bastingage du pont promenade supérieur d'un navire de croisière, Mary laissa, par maladresse, tomber son sac, qui contenait son diamant,  par dessus bord. Dans la seconde où celui-ci fut englouti par les vagues de la mer, le charme se rompit aussitôt.

 

Mary, incapable de présenter son billet de transport, fut considérée comme une passagère clandestine et priée de ne plus quitter sa cabine. A la première escale elle fut remise aux autorités portuaires, emprisonnée en attendant le prochain vol pour être rapatriée dans la ville de son domicile. Là son appartement avait retrouvé son aspect initial et quand elle arriva le lendemain matin à sa boutique, celle-ci avait repris sa devanture ancienne sans enseigne lumineuse. Ses clients ne lui ont pas fait la moindre remarque, les jeunes femmes qui travaillaient pour elle avaient disparu ainsi que tout le beau matériel qui facilitait grandement sa tâche.

 

Mary a repris son train-train habituel, levée tôt, couchée tard, beaucoup de travail et les fins de mois difficiles à cause de sa gentillesse habituelle à faire crédit. Malgré cela elle repensait très souvent à sa vie récente dans l'opulence et se posait tous les jours au réveil la question: Etait-ce vrai ou seulement un rêve merveilleux ?

 

 

 

 

PARFOIS UN REVE EST PREMONITOIRE,

SI D'AVENTURE IL T'APPORTE LA GLOIRE

OUBLIE ET RENDORS TOI DANS LE NOIR.

 

 

 

 

Le Colvert, Baudienville, octobre 2019.

© Stéphane Bertrand.

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  • Les Contes du Colvert racontent de belles histoires aux enfants jeunes et moins jeunes que l'on peut leur lire le soir avant de s'endormir car: "Les canards comme les paroles s'envolent. Seul les contes du colvert résistent au temps."
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