EOLE et ses Amis.

LES LEGENDES DU COLVERT

Par Stéphane BERTRAND

Les légendes du Colvert défient le temps.

Ecoute! Elles nous arrivent avec le vent.

N° L 17

EOLE ET SES AMIS.

Lorsque Eole n'était qu'un enfant il soufflait à s'époumoner  dans n'importe quel sens au gré de ses envies momentanées. Il a fallu attendre son adolescence pour qu'il maîtrise enfin son souffle sous-divisé en des centaines de  vents à travers le monde. Plus tard, adulte, il a enregistré tous ces vents et avant de leur rendre leur liberté il avait enfermé dans un sac hermétique un souffle de chacun d'eux.

Eole, fils de Poséidon, dieu de la mer et des eaux, fut alors élevé au grade suprême de dieu de tous les vents et de l'air par son père avec l'accord de Zeus, grand patron du conseil général des dieux de l'Olympe.

Il s'assit alors sur son trône dans la plus grande pièce de l'acropole surplombant l'île de Lipari, elle aussi la plus grande de l'archipel qu'il s'était approprié et baptisé "les îles éoliennes". Eole avait assimilé déjà dans ces temps là que l'on était toujours mieux servi par soi même que par les autres. Ce grand bâtiment n'avait ni portes ni fenêtres, seulement des ouvertures à la place de ces dernières afin de laisser l'air circuler librement en créant des courants d'air nombreux... Les sacs de vents, numérotés et soigneusement répertoriés, étaient entreposés dans les étages supérieurs afin qu'ils puissent s'envoler librement quand ils voulaient prendre l'air à l'extérieur balayant l'archipel à qui mieux mieux dans toutes les directions.

Les terriens quant à eux, continuaient à se plaindre "du vent", les mettant tous, suivant l'expression consacrée, dans le même sac... Vent froid du nord, puis vent chaud du sud, eh bien c'est simple, le vent a tourné! Cette méconnaissance agaçait fortement Eole et il en fut conforté lors d'une visite de l'un des humains nommé Ulysse qui avait entrepris un long voyage par la mer, avait échoué sur son île et manquait cruellement de vent pour gonfler ses voiles et avancer dans son projet. Eole le dépanna et le remit dans le droit chemin en soufflant lui même dans la bonne direction.

Eole décida alors de convoquer tous les vents qui auraient pour mission de rapporter à leurs collaborateurs, les vents secondaires, les décisions qui viendraient à être prises.

Le premier à se présenter fut Alizé puisque qu'il était un vent régulier à caresser les côtes, plages et terres des îles de son patron. Vint ensuite Bise en provenance du nord et qui en chemin, pour s'amuser avait fait geler quelques vignobles plus loin. Grain Blanc entra avec fracas dans la salle au bruit des orages invisibles à l'œil nu qu'il avait provoqués en altitude suivi de près par Nordet qui arrivait aussi du pôle nord en laissant derrière lui  fondre la banquise chaque jour un peu plus.

Un peu de douceur fut apportée par Suroit qui confirma qu'il était le vent préféré des humains car il soufflait du sud-ouest pour prendre sous son aile la terre et saupoudrer celle-ci de chaleur et de beau temps. Il était très ami avec Sirocco, aussi chaud voire plus que lui, mais qui avait la sale habitude de se faire accompagner d'un voile de sable jaune qu'il laissait tomber sur terre n'importe où ! Loo, quant à lui, venait juste de survoler l'île Vulcano sur laquelle Vulcain avait ses forges et attiser ses braises, peut-être un peu fort, car  autour, tout était en flammes maintenant. Et il en riait!

Zéphyr, très doux et chaud de nature, arriva aux sons des tambourins  en faisant une démonstration ondulante et lascive de la danse du ventre, courante chez lui en Orient. C'était grâce à lui, indiqua-t-il à l'assemblée, que les danseuses, nombril à l'air, ne prenaient jamais froid!  Aquilon arriva de vilaine humeur, comme toujours, et annonça qu'il allait répandre autour de l'acropole ses masses d'air  les plus mauvaises, la pluie et les orages. Les présents, tous pour une fois d'accord, lui dirent qu'il aurait pu laisser ses accompagnateurs à la maison.

Eole commençait à s'impatienter car il manquait toujours quelques invités. Mistral lui fit savoir qu'il était bloqué dans la vallée du Rhône comme un vulgaire humain sur l'A6. Pampero n'avait pas pu quitter l'Amérique du Sud à cause de la météo...et des vents contraires sur l'Atlantique! Entre temps Shamal  pointa présent avec retard car il n'avait pas pu souffler assez fort afin que deux pétroliers se rencontrent et fassent naufrage dans le golfe persique. Puis, aussi plus tard que l'heure fixée, s'annonça  Catabatique, ce vent aimant musarder le long des côtes, emportant les jours de colère, chaises longues et parasols, quelques buvettes par-ci par-là et transformant les ports où se reposaient les jolis voiliers, en jeu de chamboule-tout!

Eole, à juste titre, pensa qu'il n'arriverait jamais à imposer un modèle de bonne conduite à ses amis, décida donc de les renvoyer chez eux avec une recommandation pour les vents dits locaux ou de moindre importance afin qu'ils ne grossissent pas pour faire encore plus de dégâts que d'habitude et il cita de mémoire Simoun, Harmattan, Khamsin et Levanter, Chergui et Chlouc, Diabolo, Tramontane et encore Foehn ou les vents d'antan, etc. Il s'arrêta là. Les nombreux autres seraient prévenus comme décidé en début de réunion.

Comme après chaque congrès, un buffet fut servi. Un buffet d'air chaud, tiède, froid ou glacé et chacun   y trouva son compte et put se regonfler à sa guise et sans trop de pression. Au moment de se séparer tous se dirent "à bientôt", ici ou là-bas, au dessus d'un océan pour occasionner une tempête, couler un paquebot de croisière ou au détour d'une montagne, ensevelir une station de ski sous six mètres de neige, faire fondre les glaciers ou simplement en rase campagne pour aider les humains ou pour les détruire, au moins procurer beaucoup de dégâts! Seul Suroit ne signa pas, il tenait trop à son titre de "Vent préféré des humains".

AINSI VONT LES VENTS

LA-HAUT ET DANS LES CHAMPS.

UN JOUR DOUX, UN JOUR PAS,

PERSONNE NE SAIT NI NE SAURA !

Le Colbert, Baudienville, octobre 2019.

© Stéphane Bertrand / Mai 2020.